Les Ombres de Marbre
Sous un ciel de bronze où roulaient les nues funèbres,
Un homme avançait, drapé de brume et de poussière,
Ses yeux brûlaient au fond des orbites creusées,
Cadavre animé sorti du ventre des guerres.
Le temple surgit comme un spectre dans l’aurore fauve,
Colonnes blessées portant l’offense des siècles,
Entre ses murs froids dansait une lumière fêlée
Où se consumaient les soupirs des saints défunts.
Il entra, courbant le front sous les architraves,
Son âme à vif frémit au contact des dalles :
Quelque chose veillait dans l’ombre sacramentelle,
Une présence obscure éclose entre les stèles.
***
Elle apparut lorsque tomba le crépuscule,
Silhouette frêle aux cheveux d’ébène mouillé,
Ses pas glissaient sur les mosaïques mortes
Comme une mélodie égarée en ce désert.
« Qui donc trouble le sommeil des pierres antiques ? »
Sa voix fit vibrer l’air chargé de myrrhe amère.
Le soldat leva vers elle un regard d’halluciné :
« Je cherche un lieu où déposer mon cœur en cendre. »
Entre eux roula le souvenir des batailles lointaines,
L’écho des clairons mordant l’aube sanglante,
Et dans ses prunelles noires il crut reconnaître
Ce qu’il avait perdu au pays des sabres nus.
***
Nuit après nuit, il revint hanter les nefs obscures,
Buisson d’épines vives tourné vers cette flamme,
Elle lui parlait des astres scellés dans les voûtes,
Des secrets murés derrière les fresques pâlies.
Ils marchaient parmi les dieux aux visages brisés,
Écoutant gémir le marbre sous la lune,
Leurs mains frôlaient l’abîme interdit des caresses,
Leurs mots dansaient sur le fil des aveux tus.
« Regarde », disait-elle en montrant les chapiteaux,
« Ces feuilles de pierre ont gardé mémoire des sèves,
Le temps mord mais n’étouffe point ce qui palpite
Sous l’épiderme glacé des apparences vaines… »
***
Un matin pourtant, il trouva porte close,
Un sceau de cire noire sur les vantaux funèbres.
Du haut des corniches pleuvaient des rires cruels,
Le vent portait l’accent des courtisans royaux.
Il frappa jusqu’à ce que ses poings ne soient plus que plaies,
Appelant en vain celle dont il ignorait le nom,
Quand le guetteur sinistre lui jeta la vérité :
« L’Oiseau de nuit a pris son vol vers les cryptes éternelles. »
***
Au fond du sanctuaire où stagnaient les ténèbres,
Il la découvrit couchée sur un lit de lauzes,
Ses lèvres bleues semblaient sculptées dans le gel,
Dans ses paumes fermées luisaient des éclats d’onyx.
« Ils m’ont donnée au dieu qui dévore les étoiles,
Mon sang est le prix de leur vaine renaissance. »
Un frisson courut dans les veines du monument,
Et le soldat comprit l’horreur de son supplice.
Il prit dans ses bras ce corps déjà translucide,
Pressant contre lui ce rêve trop tôt fané,
Mais sous ses doigts anxieux la chair devint cendre,
Emportant avec elle l’aveu jamais formulé.
***
Depuis ce jour-là, quand la lune est blessante,
On entend gémir près du temple en ruine
Une voix qui mêle aux brises complices
Le nom d’une ombre et les pleurs d’un aimant.
Les colonnes penchées gardent ce chant rebelle,
Les lézardes profondes en conservent l’accent,
Et le voyageur attardé qui ose approcher
Sentira son âme mordue par l’absence éternelle.