L’Étoile et l’Adieu
Une ombre erre, égarée en la blanche cathédrale,
Où le givre, sculpteur des siècles éclatés,
Tisse un linceul de rêve aux sapins attristés.
Son pas muet soulève une poussière d’astre,
Traînant comme un soupir le poids d’un doux désastre :
C’est l’âme qui revis, sous la lune qui ment,
Les printemps effacés de son évanouissement.
Elle se souvient… L’hiver, alors qu’elle était femme,
Avait des cheveux noirs que le vent dénouait,
Et ses rires montaient, clairs comme des fumées,
Dans le ciel où l’aurore allumait ses diamants.
Un garçon aux yeux verts, Amédée, son amant,
Lui parlait de partir où les neiges sont reines,
Là-haut, près des sommets où naissent les fontaines.
« Vois-tu cette lueur, là-bas, près du grand pin ?
C’est l’étoile des nuits où s’abreuve le chagrin.
Elle attend les départs, les adieux sans retour…
— Non, Amédée ! Demeure ! Ici brûle notre amour. »
Mais lui, les doigts glacés caressant sa tempe pâle :
« Je dois suivre l’appel de cette étoile pâle.
Elle m’ordonne, Éloïse, un voyage sans matin… »
Et dans la plaine blanche où pleuraient les corneilles,
Il partit, laissant choir une larme à son seuil,
Tandis qu’un vent mauvais emportait son cercueil.
Depuis, chaque hiver vient, sinistre et solennel,
Répandre sur les monts un silence éternel,
Où l’âme en deuil refait, sous les constellations,
Le pèlerinage amer des illusions.
Ce soir, comme jadis, l’étoile se rapproche,
Saignant son or fluide au flanc des roches moires.
Éloïse, écoutant chanter l’ombre et les bois,
Croit entendre une voix dans le frisson des froids :
« Regarde, aimée… C’est moi. Je suis l’astre nocturne.
Ma lumière est le lait des douleurs taciturnes.
Nos promesses d’antan brillent en chaque éclat. »
Elle tend ses bras frêles vers le ciel constellé,
Mais le spectre s’éteint, noyé dans les nuées.
Seul persiste un reflet, pâle et désespéré,
Où dansent en écho les souvenirs dorés :
Les courses dans les prés quand juin fleurit les chênes,
Les baisers échangés sous les branches de frêne,
Et ce serment trahi : « Jamais je ne partirai… »
Soudain, le vent apporte un murmure ancien :
« Pardonne… L’infini m’a repris. Je ne suis rien
Qu’un souffle condamné aux distances sublimes.
Notre étoile n’est plus qu’un tombeau dans les cimes.
Adieu… L’aube va naître, et je dois disparaître.
— Reste ! Crie-t-elle. Hélas ! Le destin est le maître.
L’étoile fond en pleurs sur les sommets gelés.
Alors, l’âme se tait. La neige a tout comblé.
Plus rien ne reste, hormis le ciel qui se déchire,
Où lentement s’efface un sourire de cire.
Les monts, gardiens muets des amours engloutis,
Rouvrent leur livre blanc aux paroles d’oubli.
Et l’éternel hiver, d’un geste indifférent,
Ensevelit l’adieu sous son linceul de vent.
« `