L’Étoile et l’Éphémère
Un temple oublié dresse ses os de granit,
Sous un ciel de suif où la lune palpite,
Veillant sur les débris d’un rêve infiní.
Là, parmi les colonnes aux chapiteaux fêlés,
Une âme en lambeaux, spectre de soie et de vent,
Égrène des regrets sur un luth désaccordé,
Chant d’ambre et de cendre au souffle déroutant.
Elle se nomme Éliandre, écho sans origine,
Vestige d’un serment scellé dans le néant,
Condamnée à hanter les marbres de ruine
Où jadis son cœur battait, ardent et bruissant.
Chaque nuit, elle guette au balcon des nuées
L’astre qui promit son retour en ces lieux :
Astérion, diamant à la clarté nuancée,
Étoile dont les pleurs ont tissé ses adieux.
***
« Ô toi qui perças l’encre où mon destin se noie,
Vois comme les échos ont dévoré mon nom !
Le temple n’est plus qu’un écrin vide de joie,
Un piédestal sans dieu, un thrène sans pardon. »
Sa voix trouble le silence, aiguille dans la brume,
Quand soudain – lueur d’or à l’horizon terni –
Une traîne de feu dans les ténèbres fume :
Astérion descend du firmament puni.
L’étoile se fait femme, robe d’étincelles,
Ses cheveux un volcan de lumière et de deuil,
Ses yeux deux galaxies où naissent les querelles
Des espoirs morts-nés et des éternels écueils.
« Éliandre, ombre chère aux lèvres de cristal,
Je reconnais tes pleurs gravés dans mon sillage.
Mais pourquoi m’appeler d’un si funèbre appel ?
Mon orbite est prison, mon cœur est esclavage. »
***
L’âme erre vers l’astre, main tremblante tendue :
« Vois ces murs éventrés par les griffes du temps !
Où sont les serments d’ambre à la voûte suspendue ?
Où sont les chants d’hier, les rires éclatants ? »
Un sanglot fuse, étreint les pierres attentives :
« Tu m’avais promis l’aube au seuil de la nuit,
Une éternité d’or à nos deux silhouettes vives…
Mais le jour n’est jamais venu. Tout a fui. »
Astérion caresse un chapiteau qui tombe,
Son doigt brûle le marbre où coule un lait pâli :
« Nous étions des enfants du mensonge des mondes,
Toi, chair promise à l’humus, moi, feu condamné au oubli. »
***
Elles marchent parmi les décombres sublimes,
L’une semant des astres sur les dalles grises,
L’autre effleurant les murs comme on touche un abîme,
Tandis que le zéphyr joue un air de méprise.
« Souviens-toi », murmure Éliandre au seuil du chœur,
« Du soir où nous avons mêlé nos hymnes fragiles :
La terre s’était tue, les cieux pris de stupeur,
Quand ton baiser d’azur fit trembler les argiles. »
« Illusion ! » gémit l’astre en baissant les paupières,
« Ce baiser fut un leurre, un piège de l’espace.
Ton temple n’était qu’une geôle ordinaire,
Mon amour qu’un éclair que le néant efface. »
***
Soudain, le temple frémit – un grondement sourd
Ébranle les piliers où dansent les chauves-souris.
Astérion pâlit : « Les gardiens du toujours
Rappellent mon essence aux royaumes repris. »
Éliandre se plaque au sol comme une feuille,
Son corps vaporeux boit les reflets argentés :
« Reste ! Que pour une heure, un souffle, une parcelle,
L’illusion renaisse et berce nos clartés ! »
Mais déjà l’étoile monte, arrachée aux décombres,
Sa chevelure d’or s’effiloche en ruisseaux ;
Son visage n’est plus qu’un masque de décombres
Où se craquelle l’éclat des anciens flambeaux.
« Regarde ! » crie-t-elle en montrant l’univers,
« Toute orbite est un leurre, et tout astre un mirage.
Notre amour fut pareil au vol des balbuzards :
Une chute vers l’ombre enrobée de présage. »
***
L’âme éplorée agrippe un rayon qui se brise,
Ses doigts traversent l’or comme l’eau du Léthé.
« Alors donne-moi l’oubli, ô toi qui fut ma brise !
Fais de moi poussière aux plis du firmament ! »
Mais Astérion n’est déjà qu’un point qui tremble,
Un sanglot de lumière au linceul des hauteurs.
Sa voix tombe de loin, froide et pourtant semblable
Au murmure d’un luth perdu dans les hauteurs :
« Je ne puis t’emporter vers les nébuleuses…
Ton sort est d’errer ici jusqu’à la consomption.
Adieu, mon Éliandre, ombre trop douloureuse,
Que la nuit te soit douce au champ de sa moisson. »
***
Le temple retombe en un soupir de cendre,
L’âme s’effrite en notes sur les degrés disjoints.
Quelque part, une étoile semble un instant suspendre
Sa course, avant de fuir vers les déserts lointains.
Il ne reste plus rien qu’un cratère immobile
Où gemmes et regrets se mêlent sous la terre,
Et le vent qui redit, par-dessus les débris :
« Illusion fut reine en ce pâle sanctuaire. »
Et chaque nuit, quand Orion ceint son épée,
Un frisson parcourt les ruines en deuil –
On croit entendre encor, faible et découragée,
La plainte d’un amour qui crut défier l’écueil.
Mais le temps, ce larron aux doigts de chrysolithe,
A depuis effacé jusqu’au nom du destin.
Seul persiste, infini, le silence qui lisse
La mémoire des astres et des espoirs éteints.
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