Le Dernier Chant de l’Orphelin des Rues
Un homme sans logis, que les destins frappent,
Errait depuis l’enfance en quête d’un abri,
Portant pour seul trésor un violon flétri.
Ses doigts usés par l’âge et les chemins austères
Tiraient des sons divins des cordes éphémères,
Mais nul ne s’arrêtait pour écouter sa plainte :
La foule indifférente étouffait son étreinte.
Un soir d’hiver mordant, tandis que le gel mord,
Il chercha réconfort sous les arcs d’un lieu fort :
Une cathédrale aux vitraux ensablés,
Où les saints effacés semblaient avoir pleuré.
Les murs lézardés gardaient des chuchotis d’âmes,
Et l’orgue, muet roi, gisait couvert de pâmes.
Là, dans la nef déserte, il vit une ombre humaine,
Une femme en haillons, plus pâle que la laine.
Ses yeux brillaient pourtant d’un feu persistant,
Comme un phare luttant contre un courant glaçant.
« Qui donc es-tu, dit-il, fantôme ou créature ? »
Elle répondit d’une voix brisée mais pure :
« Je suis l’esclave enchaînée à ce lieu maudit,
Depuis que le destin m’y cloua sans crédit.
Mon corps n’est que souffrance, et mon âme captive,
Attendant qu’un cœur brave offre un geste instinctif. »
Le musicien sentit son sang se glacer,
Puis un élan puissant en lui vouloir percer.
« Parle ! Quel sacrifice apaisera tes peines ?
Je n’ai rien à perdre en ces terres lointaines,
Mais ta liberté vaut plus qu’un chant éternel. »
Elle montra du doigt le grand vitrail charnel,
Où figuraient jadis des anges en prière,
Maintenant couverts de crasse et de poussière.
« Là-haut dort un secret que les siècles ont tu :
Un pacte scellé par un sang disparu.
Si tu peux, par ton art, réveiller la lumière
Qui gît sous ces débris comme une prisonnière,
Alors je serai libre… Mais prends garde, voyageur :
L’offrande exigera le prix de ton courage.
Ton souffle, ton génie, et jusqu’à ton essence
Seront engloutis par l’antique puissance. »
Sans hésiter, l’artiste aux cheveux de cendre
Saisit son instrument, prêt à tout lui rendre.
Il joua d’abord des airs que la rue avait faits,
Mélodies du peuple, refrains imparfaits.
Les murs restèrent sourds, la voûte indifférente,
Tandis que la femme, frémissante, attendant.
Alors il se souvint d’un chant maternel,
Une berceuse antique au rythme solennel.
Soudain, les vieilles pierres frémirent d’émotion,
Un rayon de clarté perça l’obscurité.
Les anges du vitrail, secouant leur prison,
Ouvrirent lentement leurs ailes de poison.
« Continue ! » implora la captive éperdue,
Tandis que le musicien, dans son effort ardu,
Sentait ses doigts saigner, ses veines se tarir,
Et sa vie s’écouler par chaque note éprise.
Le violon vibrait d’une force ultime,
Arrachée aux confins d’un amour sublimé.
La cathédrale entière trembla sur sa base,
Et la femme pâlie, soudain transfigurée,
Vit ses chaînes tomber en poussière morte.
Elle courut vers lui, mais déjà, à la porte,
Le musicien gisait, corps froissé, sans couleur,
Son instrument brisé près de sa main pâle.
« Pourquoi m’avoir donnée ce que nul ne rend ?
Ma liberté n’a pas le goût que j’entendais… »
Il murmura, souriant d’un air apaisé :
« Ton rire est ma symphonie en l’éternité. »
Ses yeux se refermèrent sur un dernier rêve,
Tandis qu’elle, debout, comprit trop tard son glaive :
La lumière gagnait les cieux assombris,
Emportant avec elle leur amour incompris.
Depuis, on dit qu’aux nuits de grand vent automnal,
Une mélodie erre dans le chœur spectral.
Deux ombres y dansent, unies sans chaînon,
Lui, l’orphelin du temps, elle, l’astre pardon.
Mais n’approche jamais de ces lieux sans prière :
La liberté se paie au sang de la misère,
Et les âmes en peine qui tentent de saisir
L’accord parfait du don… N’en reviennent jamais.
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