Le Chant du Cygne en Neige
Un jeune poète errant, pâle comme l’aurore,
Portait dans son cœur lourd le fardeau d’un affront :
Un amour impossible que le destin dévore.
Ses vers, nés sous les cieux d’un automne fané,
Avant l’heure moissonnés par les griffes du blâme,
Gardaient en leurs éclats un secret condamné—
Maudit celui qui naît avec un sang de flamme !
Il marchait, chaque pas creusant dans la blancheur
L’empreinte éphémère d’une douleur ancienne,
Tandis qu’au loin grondait, sinistre messager,
L’écho des avalanches berçant son agonie.
« Ô toi qui fus mon lys en des jardins éteints,
Toi dont les yeux portaient l’éclat des sources vives,
Je gravis ces sommets pour briser nos destins,
Car la neige est l’autel où s’immolent les vivants. »
Ainsi parlait son âme en proie aux vents amers,
Se souvenant du jour où, sous un saule tendre,
Elle avait effleuré ses lèvres de l’hiver,
Promettant un printemps qu’ils ne devraient pas prendre.
« Fuis ! » lui avait-il crié, « Ma voix est un poison,
Mon haleine flétrit les pétales suprêmes.
Pars avant que mon sang, chargé de trahison,
Ne te livre aux enfers que je porte en moi-même ! »
Mais elle, souriant d’un sourire obstiné,
Avait lié ses doigts aux boucles de ses tempes :
« Je boirai ton venin comme un vin fortuné,
Car l’enfer n’est rien près du néant où tu trembles. »
Et maintenant, glacé par le souffle du nord,
Il luttait contre un ciel avare de clémence,
Cherchant au cœur des rocs, plus dur que le remord,
Le remède fatal qui sauverait l’absence.
Trois nuits, trois jours durant, sous la lune de sel,
Il sculpta dans la glace un chemin de supplice,
Tandis que les corbeaux, funèbres sentinelles,
Epiaient son combat d’un regard complice.
« Plus haut ! » murmurait-il à l’oreille du vent,
« Il faut que je parvienne au seuil des nuées froides
Où dort, prisonnière en un cristal mouvant,
L’âme de liberté que les dieux nous envient. »
Soudain, tel un mirage issu des anciens contes,
Une grotte apparut, diamant érodé,
D’où coulait une source aux reflets de honte,
Gardée par un spectre à l’épée rouillée.
« Passe, si ton amour est plus fort que la mort,
Chante pour réveiller les neiges endormies,
Mais sache qu’en ces lieux régne une antique loi :
Quiconque y puise l’eau doit y laisser la vie. »
Le poète, inclinant son front mélancolique,
Tendit vers la fontaine une main décharnée :
« Prends ce corps épuisé, prends ce cœur poétique,
Mais qu’elle vive, ô gouffre, et soit enfin libérée ! »
L’ombre rit longuement, et dans un bruit de chaînes,
La source se troubla de soupirs concentrés :
« Tu parles en héros, mais connais-tu la peine
D’être l’éternel prix de tous les cœurs sacrés ?
Va ! Plonge dans mes flots tes lèvres desséchées,
Et que ton chant final soit un hymne à l’absence.
Ton sang purifiera les douleurs empêchées—
La montagne gardera ton ultime silence. »
Alors, avec des mots tissés de nuit et d’aube,
Il commença son chant, si tendre et si fatal
Que les glaciers pleurèrent en écoutant ce globe
Où chaque note était un adieu vertical.
« Ô monts, soyez témoins de mon dernier hommage,
Je donne à l’infini mes rêves inachevés.
Neige, couvre mon corps de ton linceul sauvage,
Et porte à mon amour le baiser que j’ai rêvé. »
Ses paupières, déjà lourdes de nuit profonde,
Cherchèrent une dernière fois l’éclat du jour,
Tandis que dans ses veines, plus lentes que les ondes,
La source accomplissait son œuvre de séjour.
Quand elle arriva, pâle, au matin suivant,
Les bras chargés de lys et de branches de hêtre,
Elle ne trouva plus qu’un luth enseveli,
Dont les cordes vibraient encore… pour ne plus se taire.
Au creux d’un nid de glace où dormait son martyre,
Un manuscrit ouvert, rouge de son sang sec,
Disait ces mots tracés d’une main qui soupire :
« Je t’aimais trop pour être à jamais ton regret.
Va ! Sans moi vers les prés où le printemps se lève,
Et si parfois le vent te conte mon trépas,
Sache que chaque souffle est une amorce de rêve,
Et que je t’ai donné la liberté… en m’effaçant. »
Depuis ce jour, dit-on, quand la bise s’élève,
On entend résonner une plainte immortelle :
C’est l’âme du poète, éternelle veuve,
Qui chante dans les pleurs de la neige éternelle.
Et chaque lys qui naît sur la montagne blanche
Porte en son cœur secret une larme de sang,
Tandis que les échos, fidèles à leur rançon,
Redisent aux passants ce qu’oublie le temps :
Que nul n’est vraiment libre avant d’avoir aimé,
Et qu’au livre du ciel, page pâle et flétrie,
La plus belle victoire est celle qu’on a donnée
En silence, au-delà même de la vie…
« `