Le Linceul des Cimes
Le soldat gravissait les pentes de l’oubli,
Sous le linceul neigeux où gemissait l’aurore,
Son manteau déchiré par les griffes de l’hiver,
Portait les pleurs du vent et les cicatrices d’or.
Ses yeux, deux braises mortes où stagnait la mémoire,
Cherchaient dans les brouillards un visage éclipsé ;
La guerre, hydre de fer, lui avait volé l’âme,
Et son cœur n’était plus qu’un tambour épuisé.
Un jour, avant l’assaut, sous les tilleuls en flammes,
Une voix lui avait murmuré : « Je t’attendrai… »
Mais le canon, dragon aux entrailles de soufre,
Avait scellé leur sort d’un rire déchiré.
Les ans avaient brodé leur deuil sur les nuages,
Et l’absent, revenu, marchait vers son passé,
Traînant comme un boulet l’espoir envenimé,
Dans ce désert de sel où tout amour est glacé.
Soudain, à travers l’ombre où dansaient les silences,
Une lueur trembla, fragile ex-voto perdu,
C’était une cahute, au seuil croulant de givre,
Où vibrait un reflet de ciel presque éperdu.
Il poussa la porte, et le temps sembla frémir :
Un feu mort, un fuseau, des lettres sans adresse,
Et sur la table, un livre ouvert à la page blanche,
Où se lisait en creux l’absence qui transperce.
Dans l’âtre, un coffret noir ciselé de runes pâles
Renfermait un écrin de velours dévoré,
Un médaillon terni où souriait un ange
Dont les traits ressemblaient à ceux de l’aimée.
Au dos, gravé dans l’or, un nom : « Éliane »,
Et ces mots : « Notre amour est plus fort que la mort. »
Le soldat crut entendre un sanglot sous les combles,
Mais ce n’était qu’un rêve égaré par le nord.
Il sortit, hébété, dans la nuit polaire,
Lorsqu’une ombre, là-bas, sembla le convoquer :
Une femme en manteau d’étoiles déchiquetées,
Dont les pas ne laissaient aucune empreinte au sol.
« Reconnais-tu ces lieux où nos rires ont crû,
Où la vie engrangeait les moissons de nos fièvres ?
Tu as fui la clameur des canons pour un leurre,
Car mon cœur s’est éteint bien avant que tu meures.
Je t’attendis trois hivers, trois siècles de tourments,
J’ai cru voir ton fantôme en chaque branche morte,
Mais le givre a mangé mes lèvres et mes fièvres,
Et la neige a scellé la porte de mon corps.
Tu cherches une absente au visage de cendre,
Mais Éliane n’est plus qu’un souffle dans les pins.
Regarde : cette montagne est notre pyramide,
Et la liberté gît où finissent les chemins. »
Le soldat voulut prendre entre ses mains fantômes
Ce mirage tissé de brume et de regrets,
Mais l’apparition fondit en perles d’ambre,
Tandis qu’un chant montait des gouffres secrets.
Il courut, aveuglé par les larmes spectrales,
Trébuchant sur les rocs en forme de cercueil,
Et trouva, sous un pont de glace millénaire,
Un corps translucide bercé par un courant noir.
Les cheveux déployés comme un manteau d’algues,
Les paupières cousues par le gel éternel,
Éliane dormait dans sa robe de givre,
Gardienne des secrets que le temps piétine.
À son cou scintillait le médaillon maudit,
Et dans sa main crispée, une enveloppe close
Où l’encre, autrefois bleue, avait pâli en gris,
Portant ces mots : « À celui qui reviendra des roses… »
Il déplia le feuillet d’une main moribonde,
Tandis que le vent jouait un requiem lent,
Et lut ces vers tracés par une écriture vive :
« Si tu lis ceci, mon âme est déjà au vent.
J’ai tenu jusqu’au seuil où se brisent les forces,
Mais le mal qui rongeait mes os était trop fort.
Sache qu’en expirant, j’ai murmuré ton nom,
Et que la mort est douce à qui meurt d’un remords.
Notre amour était pur comme les sources vierges,
Mais le destin voulut qu’il soit notre linceul.
Ne pleure pas : là-haut, dans les plis des nuées,
Je danserai pour toi quand viendra le crépuscule. »
Le soldat s’effondra sur la berge de verre,
Étreignant le cadavre aimé sans plus de chair,
Et sentit dans ses flancs le froid mordre ses veines,
Tandis que le ciel crachait ses loups de fer.
La neige, lentement, les ensevelit ensemble,
Sculptant un monument où erraient des chants morts,
Et la montagne, unie à leur étreinte blanche,
Devint le mausolée de leurs libertés en corps.
Désormais, quand la lune argente les falaises,
On entend deux soupirs mêlés au vent qui fuit,
L’un dit : « Pourquoi l’amour survit-il à l’absence ? »
L’autre répond : « La liberté n’est que la nuit. »
Sous le linceul neigeux où gemissait l’aurore,
Son manteau déchiré par les griffes de l’hiver,
Portait les pleurs du vent et les cicatrices d’or.
Ses yeux, deux braises mortes où stagnait la mémoire,
Cherchaient dans les brouillards un visage éclipsé ;
La guerre, hydre de fer, lui avait volé l’âme,
Et son cœur n’était plus qu’un tambour épuisé.
Un jour, avant l’assaut, sous les tilleuls en flammes,
Une voix lui avait murmuré : « Je t’attendrai… »
Mais le canon, dragon aux entrailles de soufre,
Avait scellé leur sort d’un rire déchiré.
Les ans avaient brodé leur deuil sur les nuages,
Et l’absent, revenu, marchait vers son passé,
Traînant comme un boulet l’espoir envenimé,
Dans ce désert de sel où tout amour est glacé.
Soudain, à travers l’ombre où dansaient les silences,
Une lueur trembla, fragile ex-voto perdu,
C’était une cahute, au seuil croulant de givre,
Où vibrait un reflet de ciel presque éperdu.
Il poussa la porte, et le temps sembla frémir :
Un feu mort, un fuseau, des lettres sans adresse,
Et sur la table, un livre ouvert à la page blanche,
Où se lisait en creux l’absence qui transperce.
Dans l’âtre, un coffret noir ciselé de runes pâles
Renfermait un écrin de velours dévoré,
Un médaillon terni où souriait un ange
Dont les traits ressemblaient à ceux de l’aimée.
Au dos, gravé dans l’or, un nom : « Éliane »,
Et ces mots : « Notre amour est plus fort que la mort. »
Le soldat crut entendre un sanglot sous les combles,
Mais ce n’était qu’un rêve égaré par le nord.
Il sortit, hébété, dans la nuit polaire,
Lorsqu’une ombre, là-bas, sembla le convoquer :
Une femme en manteau d’étoiles déchiquetées,
Dont les pas ne laissaient aucune empreinte au sol.
« Reconnais-tu ces lieux où nos rires ont crû,
Où la vie engrangeait les moissons de nos fièvres ?
Tu as fui la clameur des canons pour un leurre,
Car mon cœur s’est éteint bien avant que tu meures.
Je t’attendis trois hivers, trois siècles de tourments,
J’ai cru voir ton fantôme en chaque branche morte,
Mais le givre a mangé mes lèvres et mes fièvres,
Et la neige a scellé la porte de mon corps.
Tu cherches une absente au visage de cendre,
Mais Éliane n’est plus qu’un souffle dans les pins.
Regarde : cette montagne est notre pyramide,
Et la liberté gît où finissent les chemins. »
Le soldat voulut prendre entre ses mains fantômes
Ce mirage tissé de brume et de regrets,
Mais l’apparition fondit en perles d’ambre,
Tandis qu’un chant montait des gouffres secrets.
Il courut, aveuglé par les larmes spectrales,
Trébuchant sur les rocs en forme de cercueil,
Et trouva, sous un pont de glace millénaire,
Un corps translucide bercé par un courant noir.
Les cheveux déployés comme un manteau d’algues,
Les paupières cousues par le gel éternel,
Éliane dormait dans sa robe de givre,
Gardienne des secrets que le temps piétine.
À son cou scintillait le médaillon maudit,
Et dans sa main crispée, une enveloppe close
Où l’encre, autrefois bleue, avait pâli en gris,
Portant ces mots : « À celui qui reviendra des roses… »
Il déplia le feuillet d’une main moribonde,
Tandis que le vent jouait un requiem lent,
Et lut ces vers tracés par une écriture vive :
« Si tu lis ceci, mon âme est déjà au vent.
J’ai tenu jusqu’au seuil où se brisent les forces,
Mais le mal qui rongeait mes os était trop fort.
Sache qu’en expirant, j’ai murmuré ton nom,
Et que la mort est douce à qui meurt d’un remords.
Notre amour était pur comme les sources vierges,
Mais le destin voulut qu’il soit notre linceul.
Ne pleure pas : là-haut, dans les plis des nuées,
Je danserai pour toi quand viendra le crépuscule. »
Le soldat s’effondra sur la berge de verre,
Étreignant le cadavre aimé sans plus de chair,
Et sentit dans ses flancs le froid mordre ses veines,
Tandis que le ciel crachait ses loups de fer.
La neige, lentement, les ensevelit ensemble,
Sculptant un monument où erraient des chants morts,
Et la montagne, unie à leur étreinte blanche,
Devint le mausolée de leurs libertés en corps.
Désormais, quand la lune argente les falaises,
On entend deux soupirs mêlés au vent qui fuit,
L’un dit : « Pourquoi l’amour survit-il à l’absence ? »
L’autre répond : « La liberté n’est que la nuit. »
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