L’Éternel Écho des Cimes
Un homme gravit l’ombre, pèlerin sans couleur,
Portant sur son échine un fardeau de mélancolie
Et dans ses yeux brûlants, l’insomnie du rêveur.
Il était peintre, jadis, quand les aubes candides
Baignaient son cœur naïf de lueurs à saisir,
Mais le temps, ce larron, avait fané ses idoles,
Laissant en lui ce vide où gronde le désir.
La neige, vaste linceul, étouffait ses enjambées,
Chaque pas ressuscitait un soupir du passé.
Il cherchait, disait-il, le visage de l’Aurore
Celle qui danse, nue, aux crêtes des sommets,
Et déchire la nuit de ses ongles de gloire.
Mais quel pinceau pourrait fixer l’éclair divin ?
Son âme, parchemin froissé, criait vers les abîmes,
Et le vent lui répondait d’une voix de destin.
Un soir que les sapins, bras levés en suppliques,
Tendaient vers lui l’offrande de leurs ombres en croix,
Il trouva, sous la roche où pleure une source antique,
Un coffret de fer rouillé scellé par le froid.
À l’intérieur, un pli jauni, froissé d’angoisse,
Exhalait un parfum de lilas et de deuil.
L’encre, pâle cicatrice, épelait une détresse :
« À celui qui viendra quand je serai ailleurs… »
La lettre déployait ses ailes de mystère,
Révélant l’âme sœur qui hantait ces hauteurs.
Une femme, autrefois, avait marché dans l’orage,
Cherchant, comme lui-même, l’envers du miroir.
Elle écrivait : « Les cieux m’ont donné leur vertige,
Mais la terre me cloue à son rouet de fer.
Je suis l’alouette prise au piège des nuées,
Dont le chant se dissout dans l’éther de l’hiver.
Mon amour, si tes mains touchent ces mots funèbres,
Sache qu’en ce désert où règne le silence,
J’ai cru voir la clarté qui nourrit les ténèbres,
Et j’ai choisi d’unir mon souffle au vent qui passe.
Ne cherche pas mon corps sous la neige éternelle :
Je suis ce frisson d’or entre l’aube et la nuit,
Cette note égarée aux lèvres de la brume,
Que ton cœur, si tu m’aimes, transformera en buis. »
Le peintre lut ces mots sous la lune malade,
Tandis que le linceul des neiges infinies
Enveloppait son être, et dans sa main tremblante,
La lettre bruissait comme une aile finie.
Il comprit alors que sa quête insensée
N’était qu’un long écho de cette autre folie,
Et que l’inspiration, fantôme tant aimé,
Se nourrit du silence où meurent les délires.
Les jours suivants, il erra, fantôme parmi les pierres,
Peignant sans répit des ciels en convulsion.
Il mêlait sur sa toile et la cendre et la flamme,
Croyant saisir enfin l’âme de l’horizon.
Mais plus il s’épuisait à vouloir tout décrire,
Plus la brume avalait les contours de son art,
Et la neige, témoin de cette lente chute,
Couvrait d’un lourd manteau l’effroi de ses regards.
Un matin, les chasseurs trouvèrent ses couleurs mortes,
Éparses autour d’un corps que le gel avait pris.
Sur sa poitrine nue, une lettre froissée
Chantait encore l’adieu d’un impossible mépris.
Et l’on dit que parfois, quand la lune est blessée,
On entend sous les rocs un sanglot de pinceaux,
Tandis qu’au ciel danse une ombre aux couleurs sublimes —
L’étreinte éternelle de deux libertés en lambeaux.
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