L’Éphémère Éternel
Où le vent charrie des noms que nul n’a murmurés,
Un enfant sans racines, spectre aux yeux de bruine,
Foule l’ombre des places où dansait la farine.
Son souffle se confond aux soupirs des gravats,
Il cherche en chaque fissure un reflet de combats,
Un éclat de vérité sous les dalles fêlées,
Comme un fruit oublié des vendanges passées.
Un matin, le destin – ce joueur de dés sournois –
Lui tendit un parchemin froissé par les effrois,
Encre pâlie, sceau mort, lettres en léthargie :
« À l’enfant qui naîtra quand je serai ensevelie… »
La voix d’une ombre aimante, échappée du néant,
Dansait entre les plis d’un adieu déchirant :
« Je t’ai nommé Lucien, lumière en nos ténèbres,
Porte ce feu contre l’hiver des cœurs funèbres.
Quand les tours ont croulé sous les cris de la faim,
J’ai caché ton berceau dans les flancs du moulin,
Puis offert aux soldats mon sang et mes faiblesses
Pour qu’en ton âme neuve habitent les tendresses.
Va vers le fleuve absent où chantaient les lauriers,
Trouve-y trois peupliers enracinés dans l’air,
Sous leurs pieds dort un coffre où j’ai scellé ma vie –
Ta liberté, Lucien, vaut bien mon agonie. »
Nuits de fièvre et de pluie à traquer le refrain
D’un courant disparu, fantôme du terrain.
Il gratte la poussière avec ses ongles nus,
Appelle en sanglotant les dieux inconnus.
Enfin, sous un amas de marbre et de regrets,
Trois géants sans feuillage tendent leurs bras muets.
La terre rend soudain un soupir de naissance :
Un écrin de cuir rongé par les semences.
À l’introit – un flacon, un ruban, un médaillon,
Et ce mot posthume écrit d’un sang trop bon :
« Pardonne à la captive enchaînée à son rôle,
Je t’ai donné la vie… et volé ton symbole.
La liberté qu’on cherche est un leurre glacé :
On ne dérobe pas l’aube à qui naît cloîtré.
Je t’aimais trop pour voir ton cœur battre en esclave –
Mourir fut mon présent. Vis. Sois libre. Sois grave. »
L’enfant serre l’écrit sur sa poitrine étroite,
Tandis que la cité exhale une note froide.
Les tours en ruine ont vu, du fond de leur silence,
Ce petit roi sans trône vider sa sentence.
Il marche vers le vide où jadis l’eau dansait,
Boit le philtre ancien d’un geste las et dansant,
Puis s’allonge en souriant sous les cieux calcinés :
« Merci, mère. Je pars où tout est pardonné. »
Au matin, on trouva son corps frêle et tranquille,
Une feuille d’automne collée à son pupille,
Et dans sa main crispée – ô douleur sans écho –
La lettre et le médaillon… marqués du même mot :
« Liberté. »