L’Île aux Échos Déchus
Un voyageur las, aux semelles d’argile,
Foule une grève pâle où les vagues dévorent
Les vestiges d’un ciel en lambeaux immobiles.
Son manteau, tissé de silences anciens,
Traîne l’odeur fade des horizons trahis,
Et ses yeux, deux braises sous la cendre du rien,
Cherchent en vain l’éclat d’un matin ébloui.
L’île dort, couronnée de brumes mensongères,
Ses rocs noirs déchirant la chair de l’infini,
Tandis qu’au lointain glissent des ombres légères,
Fantômes de clarté dans un soir inioui.
***
Il avance, guidé par le chant des algues sèches,
Sous un dôme de sel où pleurent les étoiles,
Et soudain, au détour d’une faille enflammée,
Apparaît un jardin de mémoire sans voile.
Là, des arbres de verre aux racines d’opale
Murmurent des secrets à l’oreille du vent,
Leurs branches cristallines, dédales de pétales,
Tissent un hymne amer au temps fuyant.
Au centre, une femme à la robe d’abîme,
Ses cheveux ruisselants de nuit et de regret,
Tient entre ses doigts pâles un livre sublime
Où s’effeuillent les noms des soleils disparus.
« Voyageur égaré dans mes larmes d’ambre,
Approche sans trembler de ce miroir liquide :
Je suis l’Écho des mers, l’oubli qui se cambre
Devant l’ultime aveu du destin homicide. »
Sa voix est un rivage où meurent les navires,
Un soupir de corail dans l’étreinte des flots,
Et le homme, épuisé de vagues délires,
Sent naître en lui l’espoir — doux venin des sanglots.
***
Nuit après nuit, il boit ses paroles étranges,
Épiant dans ses yeux les reflets d’un feu pur
Qui danse sur les eaux comme un cygne qui plonge
Vers l’énigme nacrée d’un impossible azur.
Elle lui montre alors les cités englouties,
Les amours enchaînés aux anneaux du récif,
Les enfants endormis dans les grottes moisies
Où la mer dépose un baiser furtif.
« Vois-tu ces tourbillons de lumière fossile ?
Ce sont les songes morts des peuples sans printemps,
Leurs couronnes de houx, leurs larmes inutiles
Ont nourri ces corbeaux qui rongent nos instants. »
Et tandis qu’elle parle, un lien se décloue :
L’espoir, fleur insensée, perce l’encre des nuits.
L’homme croit entrevoir, sous sa paupière fougue,
L’aube fragile ouvrant ses ailes enfuies.
***
Un matin, elle offre un fruit de lune bleue,
Chair pâle où bouillonne un automne éternel :
« Mange, et tu posséderas la clé devenue
Le sésame des cieux refermés sur ton fiel. »
Il mord, et dans sa bouche explose une tempête
De souvenirs volés aux échos de la falaise,
Tandis que son sang chante une marche inquiète
Vers un rivage absent que la brume paralyse.
Mais soudain, l’air se fend comme un drap de mystère :
Les arbres de cristal saignent des gemmes noires,
Le jardin tout entier vacille, apocalypse
D’orages muets et de silences en croix.
La femme aux cheveux d’ombre éclate en mille rires
Dont chaque éclat transforme le sable en miroir,
Et son corps, devenu nuée qui déchire,
S’évapore en laissant l’odeur du désespoir.
***
Il court, hurlant son nom à la mer dérobée,
Mais les vagues, pareilles à des langues de cendre,
Lui renvoient en écho sa propre destinée :
Un mot sans consonnes, un souffle à redescendre.
Les jours tombent alors, lourds de plomb liquide,
Collant à sa peau l’angoisse des adieux,
Et l’île lentement se défait, suicide
De rochers avalés par les geysers des dieux.
Au creux d’une caverne où gît l’heure assassinée,
Il trouve enfin le livre aux pages de velours :
Les mots ont disparu, mangés par les années,
Il n’en reste qu’un trait — une faille dans le jour.
***
Maintenant, sur la grève où rôde sa folie,
Il attend que la vague apporte un nouveau leurre,
Tandis que dans son cœur, l’espoir qui supplie
Se change en un roc froid que la mer effleure.
L’île n’est plus qu’un rêve éventré sur les flots,
Un crachat de lumière dans la gueule de l’ombre,
Et le voyageur nu, dernier roi des îlots,
Porte en lui le deuil blanc de ce qui toujours sombre.
La nuit vient, peuplant l’air de cloches funèbres,
Elle coud à son front les étoiles en deuil,
Tandis que dans son sang, les ultimes vertèbres
De l’espoir perdu font craquer leur cercueil.
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