L’Orphelin des Cendres
Un enfant sans racines, ombre aux pas de velours,
Foule l’écho lointain des places dépeuplées.
Ses yeux, deux astres froids creusés par les déroutes,
Cherchent entre les murs lépreux un sûr séjour,
Tandis que le vent râle un hymne de pelletées.
Il avance, guidé par le spectre d’un prénom
Que sa mère, dit-on, grava dans un soupir
Avant que le chaos n’engloutisse son âge.
Son manteau, tissu d’ambre et de vieux crépons,
Traîne comme un regret sur les degrés de porphyre
Où jadis dansait l’or des robes de l’étage.
Trois lunes ont suffi pour que s’effrite l’espoir,
Trois lunes à compter les fêlures du ciel,
À boire aux fontaines l’eau noire des légendes.
Pourtant, sous son chevet, un carnet miroir
Où dansent des remparts constellés de mortelles,
Lui montre chaque nuit les clés suspendues.
« Qui donc es-tu ? » demande-t-il aux statues sourdes
Dont les doigts mutilés désignent le levant.
Un corbeau, messager aux plumes d’épitaphe,
Lui conte par fragments l’histoire des heures lourdes :
« Ici régnait l’orgueil d’un roi cœur-de-levant
Dont le fils disparut dans les plis d’une strophe. »
L’enfant serre contre lui la médaille sans nom
Où pleure un profil vague aux lèvres entr’ouvertes.
Soudain, entre deux blocs de marbre convulsé,
Un escalier secret creusé dans le limon
Descend vers les entrailles où gisent offertes
Les archives de chair d’un monde éclipsé.
Les murs suintent ici des larmes de fresco,
Des visages éteints murmurent en chœur bas :
« Malheur à qui dévoile ce que le temps ensache ! »
Mais l’orphelin, déjà, déchiffre un manuscrit
Où s’étale en sanglots l’aveu d’un long trépas —
La reine eut pour amant un prince de la tâche.
« Ils t’appelaient l’enfant du double crépuscule,
Toi qu’on croyait noyé dans les plis du torrent,
Toi dont le sang mêlé scellait paix éphémère… »
Ses doigts tremblent. La vérité comme un cumulus
Écrase sa poitrine. Il comprend maintenant
Le pourquoi des regards fuyants, des portes fermées.
Un rire fend la nuit — spectre au masque de brume —
C’est le vieux archiviste, gardien du mensonge,
Dont les mains ont tissé l’oubli comme un linceul :
« Tu arrives trop tard, petit semeur de rhume !
Celui que tu cherchais dort sous un marbre oblong
Depuis que le poison a clos son chant d’orfèvre. »
L’enfant tombe à genoux. Le sol se dérobe.
Des lianes de brume enserrent ses chevilles.
Le palais se redresse en un râle de bois.
Il voit — halluciné — les vitraux renaître,
Entend sonner les cors des chasses familiales,
Et court vers ce mirage où dansent des voix.
« Mère ! » crie-t-il. La femme au visage de nacre
Tourne vers lui des yeux peuplés de fondrières :
« Pourquoi as-tu troublé le sommeil des damnés ?
Ta quête insensée a rompu le silence sacre
Qui protégeait ces murs de leur propre lumière.
Pars ! Avant que ne s’ouvre le gouffre des années. »
Mais déjà les piliers se changent en poussière,
Les escaliers mouvants aspirent vers le néant.
L’enfant agrippe en vain la médaille qui brûle.
Le rire de l’archive emplit la fourmilière
De pierres. « Regarde ! » hurle-t-il dans le vent,
« Je ne suis plus qu’un nom que personne n’articule. »
Et quand vient l’aube grise effilocher les toits,
Un tertre seulement subsiste dans les ruines —
Amas de gravats où luisent deux prunelles.
Les passants égarés y déchiffrent parfois,
Grave dans le basalte aux veines serpentines :
« Ci-gît l’enfant Rêve, mort de ses querelles. »
La ville désormais chante plus bas le soir,
Craignant que ne renaisse, en quelque ombre propice,
Celui qui voulut voir au-delà du miroir.
Les murs gardent mémoire, et leur gémissement
N’est qu’un long chuchotis : « La vérité, complice,
N’est que le premier pas vers le déchirement. »
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