L’Orphelin et l’Écho des Abîmes
Un enfant sans racines errait, ombre en courroux,
Ses pas frôlaient les dalles, cicatrices d’automne,
Et son souffle mêlait l’ambre aux larmes des hiboux.
La cathédrale veillait, géante aux doigts d’opale,
Ses vitraux déchiraient la nuit en éclats bleus,
Chaque saint aux yeux clos semblait juger le pâle
Voyageur dont les mains tremblaient comme des feux.
Il cherchait un visage au fond des fresques pâlies,
Un nom dans les soupirs des orgues endormies,
Un murmure lié au sang de son berceau.
Mais le marbre, cruel, ne rendait que le râle
Des siècles oubliés rongés comme un écrin,
Et l’enfant, cœur ouvert, butait contre un halo.
***
Soudain, l’air frémit d’une présence inconnue :
Une femme apparut, spectre aux cheveux d’argent,
Ses draperies dansaient avec la lune nue,
Et son regard portait l’écho d’un autre temps.
« Je sais ce que tu perds, je connais ton martyre,
Dit-elle, voix de soie tissée dans le néant.
Suis-moi vers les caveaux où la vérité transpire,
Là où les souvenirs sont des diamants noirs. »
L’orphelin, ébloui par ces lèvres promises,
Crut voir dans ses iris un reflet de promesse,
Il suivit sans trembler l’étrange messagère
Vers l’escalier qui plongeait aux entrailles de pierre,
Où chaque marche avalée était un désaveu.
***
Dans les cryptes, le temps saignait en stalactites,
Les cercueils entrouverts chuchotaient des secrets,
Et la femme, soudain, changea de visage :
Ses ongles devinrent griffes, son rire un glaive,
Et l’enfant comprit trop tard le piège de l’étreinte.
« Ton père était un lâche, ta mère une chimère,
Ils t’ont abandonné pour fuir leur propre effroi.
Mais moi, je garde ici leurs âmes prisonnières…
Tu pleureras leur crime en rejoignant l’enfer ! »
Elle brandit un miroir où se tordaient des ombres,
L’enfant y vit deux corps ligotés de rubans sombres,
Leurs bouches sans parole, leurs yeux vidés de jour.
Un cri monta des profondeurs, déchirant le velours
De la nuit éternelle où pourrissaient les offrandes.
***
Il tenta de fuir, mais les murs resserrèrent
Leurs bras de granit froid, les chandelles moururent,
Et la femme, pareille à un serpent de braise,
L’enlaça d’un amour fiel, brûlant comme un ulcère.
« Tu paieras pour leur sang, leur lâcheté, leurs fautes,
Tu seras le bouc émissaire de leurs hontes,
Ta chair deviendra cendre, ton nom un blasphème. »
L’enfant sentit son cœur se glacer à ces mots,
Tandis qu’un vent mauvais dispersait ses sanglots.
***
Alors, dans un sursaut, il arracha la chaîne
Qui scellait le miroir aux mains de la tisseuse,
Le verre se brisa en mille éclats de haine,
Libérant les esprits en un chant douloureux.
Les fantômes parents, flottant comme des brumes,
Tentèrent d’apaiser leur fils par des murmures,
Mais leur voix n’était plus que râpe sur les plumes
D’un oiseau déjà mort aux ailes trop obscures.
La femme hurla, fuseau de venin et de rage,
Se dissipant en poussière au seuil du naufrage,
Tandis que l’orphelin, pantin aux membres lourds,
Sentait monter en lui le froid des derniers jours.
***
La cathédrale entière semblait pleurer en chœur,
Les anges de stuc avaient des larmes de suie,
L’enfant s’allongea contre une tombe sans fleur,
Fixant les voûtes noires où dansait son ennui.
Il ferma les paupières, songeant aux matins pâles
Qui jamais ne viendraient caresser ses tempes,
Et dans son dernier souffle, il entendit les râles
De ceux qui, comme lui, furent trahis par l’espoir.
Le jour se leva, lent, sur les dalles inertes,
Oubliant dans un coin une médaille offerte,
Tandis qu’au-dehors, indifférent et serein,
Un rossignol chantait l’éternel refrain
Des cœurs ensevelis sous les mensonges verts.
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