Le Dernier Éclat de Cassiopée
Un homme, spectre errant, foulait l’orbe infini,
Portant comme fardeau ses pinceaux et ses peines,
Cherchant l’étincelle d’or que le destin a nie.
Ses yeux, lacs asséchés où tremblait l’espérance,
Scrutaient l’horizon vide, miroir de son tourment ;
L’artiste maudissait cette vaste silence
Où nulle muse encor n’offrait son firmament.
Les dunes, cathédrales aux voûtes éphémères,
S’élevaient en soupirs sous les vents soupirants,
Et le ciel, drap funèbre aux plis lourds de mystère,
Étouffait les couleurs des crépuscules lents.
Un soir, quand l’ombre crue dévorait la lumière,
Qu’un chœur d’astres naissants brisa l’éternité,
Il vit danser au loin une forme première,
Silhouette de brume à l’étrange clarté.
Ses pas, feutrés et lents comme un adieu qui s’offre,
Traçaient dans le néant un sillage argenté ;
Ses cheveux, filaments de la nuit qu’elle étioffe,
Couvraient d’un manteau noir son corps ensorcelé.
« Qui donc es-tu, dit-il, ô toi l’unique étoile
Qui daignes éclairer mon chemin sans relief ?
Spectre ou rêve, réponds ! Ton apparition voile
Le peu de raison pure qui me reste à la vie. »
Elle, d’une voix douce où perlait l’amertume,
Murmura : « Je suis celle que tu as invoquée,
L’écho des profondeurs où la beauté s’allume,
L’ultime étincelance avant que tout ne meure.
Viens, saisis ton pinceau, grave mon âme éparse
Dans les plis de ce monde où tout s’efface et fuit.
Je ne suis qu’un soupir, une lueur qui passe,
Mais je t’offre ce soir l’éternité d’une nuit. »
Il peignit. Sous ses doigts, les teintes interdites
Jaillirent en torrents de pourpre et de saphir,
Les astres déchirés en comètes maudites
Vinrent baiser les bords de son morne désir.
Elle, modelant l’air d’un geste séculaire,
Posait ses membres pâles sur le lit des courants,
Et chaque fibre d’or, chaque ombre passagère,
Devenait sur la toile un sanglot étouffant.
« Regarde, disait-elle, en ces sables stériles
Gît le miroir brisé des espoirs engloutis.
Mon visage n’est rien qu’un reflet fragile,
Une onde qui se perd au lac de ton esprit.
Mais tant que tu créeras, je serai ton supplice,
Car l’art est un combat contre l’oubli vorace.
Ma beauté n’est qu’emprunt, ma forme, un artifice :
L’aurore me reprendra dans son étreinte lasse. »
Il pleura. Dans ses yeux roulaient des galaxies,
Des mondes en lambeaux, des soleils dévorés.
« Laisse-moi t’arracher à ton destin fatal,
Toi, l’unique chef-d’œuvre que j’aie jamais pleuré ! »
Mais déjà l’orient teignait ses lèvres pâles
D’une lueur mauvaise aux reflets de couteau.
« Vois, l’aube vient, dit-elle, et mes traits dissolus
Vont s’éteindre au néant comme un vain feu de brume.
Prends ce dernier éclat, ce souffle de mémoire,
Garde en ton cœur fêlé l’ombre de mes contours.
La vie n’est qu’un adieu brodé de fausse gloire,
Et l’art, le linceul de nos fragiles amours. »
Son corps, déjà translucide, frêle chimère,
Se délitait en brume au vent matinal ;
Il tenta de saisir cette essence éphémère,
Mais ne serra qu’un vide aux couleurs de cristal.
Seul, il resta, fixant l’espace insaisissable,
La toile à ses pieds morte, spectre inachevé,
Où dansait encore, spectral et responsable,
Le souvenir fuyant d’un rêve trop rêvé.
Les jours suivants, il erra, fantôme sans visage,
Traînant comme un remords sa palette de deuil.
Le désert engloutit ses larmes et ses rages,
Et scella dans ses flancs l’ultime orgueil de l’œuvre.
Un soir, quand Cassiopée, au zénith pensive,
Redessina son corps en astres éclatants,
Il s’allongea, les yeux pleins de lueurs furtives,
Et mêla son dernier souffle aux vents indifférents.
On dit que sous la lune, aux heures de détresse,
Un fantôme d’ocre et d’azur erre sans repos,
Cherchant dans l’infini l’éclat d’une promesse,
Et peint avec la nuit les larmes des troupeaux.
Mais la toile sacrée où vibrait son supplice,
Rongée par les sirocs et le temps assassin,
N’est plus qu’un champ de poudre où le néant se glisse,
Tombeau de l’idéal qui consume les mains.
Ainsi meurt toute quête où l’âme, trop avide,
Croit pouvoir enchaîner les étoiles au chant ;
Le désert n’a rendu, dans son sein aride,
Que l’écho d’un adieu que personne n’entend.
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