Le Nautonier et le Jardin des Ombres
Cherchaient l’étoile perdue au fond des cieux muets,
Errait depuis des mois sur les vagues stériles,
Porté par les soupirs des abîmes hostiles.
Son navire, jouet des courants enchaînés,
Avait rompu ses mâts sous les vents forcenés.
La faim, la soif, la nuit peuplaient son existence,
Et l’espoir s’effilait comme une corde usée.
Un matin, le brouillard, tel un linceul liquide,
Dévoila dans l’écume un rivage timide :
Un jardin surgissant des entrailles des flots,
Où les arbres penchés formaient de sombres réseaux.
Les roses y pleuraient des pétales de brume,
Et les lys, gardiens pâles aux parfums de rhum,
Semblaient guider ses pas vers un destin obscur
À travers les sentiers de ce monde impur.
« Ô toi que la tempête a jeté sur ma grève,
Viens goûter l’oubli doux que mon cœur te soulève »,
Murmura une voix au creux des saules verts,
Tandis qu’une lumière, éclatante à l’envers,
Dessinait une forme à la chair translucide,
Spectre aux cheveux d’argent et de tristesse vêtue.
« Je suis l’âme des lieux que le temps a trahis,
Le dernier souvenir des amours engloutis. »
Le marin, fasciné par ces mots enlacés,
Marcha vers le dédale aux murs de fleurs tressés.
Chaque pas éveillait un soupir dans les pierres,
Chaque souffle effleurait des murmures sévères.
Il vit des fruits dorés qui brûlaient sans flamme,
Des fontaines de lait où chantaient les femmes,
Et des oiseaux de cendre aux chants mélodieux
Qui racontaient l’hiver des amants oublieux.
« Ce jardin est un leurre, une prison de charme,
Où chaque rêve éclot pour mourir dans les larmes,
Lui dit l’apparition d’un ton de vent glacé.
Tu peux fuir vers la mer et son éternité,
Ou rester parmi nous, ombre parmi les ombres,
À hanter ces bosquets où se meurent les nombres. »
Mais le nautonier, pris d’un désir insensé,
Tendit la main vers l’être au regard empressé.
« Je préfère l’énigme à l’horizon sans âge,
Et le parfum des lys au sel des naufrages. »
Alors, le spectre pâle, avec un pleur amer,
Effleura son front lourd des brumes de la mer.
Soudain, les murs de fleurs se resserrèrent,
Les roses dévorèrent ses pieds égarés,
Et le lait des fontaines, en coulant sur ses bras,
Le changea lentement en statue de hélas.
Les oiseaux de cendres, d’un chant funèbre et doux,
Couvrirent son corps mort d’un linceul de bijoux.
Le jardin tout entier frémit comme une lyre,
Puis rentra dans la nuit sans lune et sans délire.
Et la mer, à jamais, garda dans ses secrets
Le nom de ce marin qui aima les regrets,
Tandis que les échos, au fond des grottes sourdes,
Répètent son adieu aux vagues toujours lourdes.