Le Dernier Chandelier de la Nuit Éternelle
Un voyageur perdu, dont les pas étaient brefs,
Franchit l’ogive obscure où gemit la bise amère.
La cathédrale, austère en son linceul de pierre,
Étalait sous la lune un dédale d’effroi,
Ses vitraux éteints comme des yeux sans foi.
Il portait, cet errant aux paupières meurtries,
Le poids d’un souvenir plus lourd que les féries,
Et cherchait, disait-on, dans ce lieu sans échos,
L’ultime vérité qu’on murmure aux décombres.
Soudain, au cœur des noirs arceaux silencieux,
Un frisson parcourut les dalles des anciens dieux.
Une lueur dansait, pâle et surnaturelle,
Guide funèbre offert à son âme immortelle.
Il suivit, fasciné par ce feu vacillant,
L’appel d’un destin sombre et lentement sanglant.
Les colonnes, telles des spectres en prière,
S’inclinaient sur son chemin d’une ombre hospitalière,
Et l’orgue, quelque part, en ses tubes rouillés,
Soufflait un chant éteint aux parfums oubliés.
Arrivé devant l’autel où nul encens ne fume,
Il vit se dessiner une étrange coutume :
Sept chandeliers d’argent, ternis par les années,
Gardaient un secret lourd de larmes obstinées.
Une voix, alors, sourde et pleine de détresse,
Monta des profondeurs comme une vague épaisse :
« Ô toi qui viens chercher l’amour enseveli,
Chaque flamme volée est un souffle de vie.
Mais pour ranimer celle dont tu perds la trace,
Il faut qu’en toi s’éteigne à jamais la menace.
Prends ceci, voyageur au cœur déjà si las,
Et choisis : fuir l’abîme, ou consumer ton bras. »
Dans sa main apparut une torche fragile,
Dont la cire coulait en larmes d’or mobile.
Il songea à celle, hélas ! trop tôt disparue,
Dont les cheveux flottaient comme un soir de bruine.
Oriane… Son nom, doux serment dans la nuit,
Était l’unique astre en son ciel enseveli.
Il alluma le premier cierge, et dans sa veine,
Un froid mordit sa chair d’une morsure vaine.
Le second feu jaillit, et son souffle affaibli
Glissa sur les tombeaux d’un murmure pâli.
Au troisième, il sentit ses forces se dissoudre,
Comme neige au contact d’un soleil trop amer.
Mais chaque flamme avait le parfum de ses membres,
Et dansait en formant le visage de l’ambre.
Au quatrième appel, il chancela, blessé,
Et vit, dans la clarté, son amour trépassé :
Elle tendait les bras, vêtue de fumée,
Ses yeux n’étaient plus qu’un lacis de nuées.
« Oriane ! » cria-t-il, mais l’écho se moqua,
Transformant sa douleur en ricanements las.
Le cinquième flambeau consuma son courage,
Le sixième éteignit les mots sur son visage.
Lorsque vint le dernier, il tomba à genoux,
Étreignant le chœur vide où saignait son amour.
La voix tonna de nouveau, glaciale et précise :
« La dernière étincelle est ton propre mépris.
Offre-toi, sans retour, à la nuit éternelle,
Et tu la retrouveras… dans l’oubli qui scintille. »
Il leva vers les cieux sa main déjà cendre,
Et plongea dans la flamme où tout n’est que cendre.
La torche s’éteignit dans un cri de victoire,
La cathédrale vibra d’une sourde noirceur.
Oriane apparut, mais spectre sans mémoire,
Souriant à l’époux perdu dans sa gloire.
Elle effleura son front d’un baiser sans chaleur,
Puis s’évanouit dans les plis de la pâleur.
L’aube naissante eut tôt fait de tout dissiper :
Le voyageur gisait, statue d’ossements clairs,
Et les chandeliers, froids sous le gel des hivers,
Gardaient l’écho muet d’un amour insensé.
Seul un mot, gravé au couteau dans le bois saint,
Rappelait que la flamme est un pleur qui s’éteint :
« J’ai choisi de mourir pour revivre un mensonge.
Que ceux qui aiment trop évitent ce mensonge. »
Depuis, quand vient minuit et son cortège obscur,
On entend sangloter, près des murs en ruine,
Un homme dont l’esprit, lié aux sept chandelles,
Refait sans fin le choix des ombres éternelles.
La cathédrale rit, de ses gargouilles sourdes,
Car le plus grand mystère est l’amour qui se couche
Dans la tombe du temps, sans lueur et sans clé,
Et dont le seul refuge est un cœur immolé.
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