Le Serment évanoui dans les neiges éternelles
Un vieillard, spectre ému sous la lune hivernale,
Gravisait les sentiers que le temps avait clos,
Ses pas creusant l’oubli dans la blancheur des flots.
Son manteau, lambeau lourd des neiges accumulées,
Tissait avec la brume un linceul de fumées,
Et dans ses yeux éteints, miroirs d’un autre été,
Dansait l’écho lointain d’un serment arrêté.
« Ô compagnon des cieux où la foudre se joue,
Rends-moi les mots liés au sang de notre joue,
Les mots que l’aube vit s’unir comme deux mains… »
Mais le vent répondait par des sanglots éteints.
La montagne, autrefois témoin de leur promesse,
Avait scellé leur pacte en sa froide tendresse :
« Tant que les glaciers fiers dresseront leur rempart,
Rien ne brisera l’anneau forgé par notre art. »
Or un soir de février, quand les loups sont rois,
L’amante aux cheveux d’ombre avait fui dans les bois,
Ses pleurs traçant un sillon au cœur des précipices…
Depuis, l’homme errait, fantôme dans le suaire des glaces.
« Disparue ! Et pourtant son souffle est dans ces branches,
Son rire argentin mord la chair des avalanches…
Pourquoi as-tu rompu le nœud de nos destins ?
Était-ce donc écrit sur les tables d’airain ? »
Soudain, une lueur, faible et douce complainte,
Perça le voile épais des ténèbres enceintes :
Une cabane, au bord d’un lac pétrifié,
Ouvrait sa porte en deuil comme un cœur défiant.
À l’intérieur, un feu mourant depuis des lustres
Avait laissé dans l’âtre une empreinte de rustres,
Et sur la table, intact malgré les ans damnés,
Un coffret d’ébène aux serrures condamnées.
Le vieillard, frémissant sous le poids des présages,
Reconnut l’écrin noir des anciens esclavages :
« C’est ici qu’elle enfouit son ultime secret…
Ô toi qui dors sous l’or des neiges, parle enfin ! »
D’un geste altéré par l’angoisse et le rite,
Il brisa le métal rougi par le mérite.
Qu’y trouva-t-il ? Un pli froissé, ultime aveu,
Où tremblait un dessin – un enfant aux yeux bleus.
« Nous avions juré tous deux de n’être qu’un seul être,
Mais le sort, ce voleur aux doigts de primevère,
M’imposa ce fardeau que je dus dérober :
Notre amour eut un fruit qu’il fallut cacher.
Le village aurait tué l’innocence incarnée,
Toi, tu aurais bravé les lois de la vallée…
J’ai choisi l’exil froid pour sauver son destin,
Et mon dernier soupir fut un baiser lointain. »
Le vieillard, foudroyé par cette vérité crue,
S’effondra, lézardé de douleur imprévue :
« Nous avions cru l’amour plus fort que les glaciers,
Mais les hommes ont seuls scellé nos cendres hier… »
Dehors, la tourmente en ses voiles funèbres
Enterrait peu à peu les vestiges des brèches,
Et lui, les bras tendus vers les cieux implacables,
Marmonnait des mots fous aux ombres remuables :
« Prends-moi, ô montagne ! En tes replis de neige,
Fusionne mon souffle à ce que tu protèges.
Là-haut, près des sommets où gît notre serment,
Je veux m’endormir dans l’éternel firmament. »
Le gel mordit sa chair, l’aurore boréale
Drapa son corps frileux d’une écharpe spectrale,
Et quelque part, très loin, dans un matin vermeil,
Un enfant inconnu pleurait un grand soleil.
Ainsi meurt un amour que le monde exile,
Ainsi se tord le cœur sous le joug des reptiles.
Reste, lecteur ému, cette leçon amère :
Les serments les plus saints sont fragiles comme l’hiver.
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