Le Dernier Soupir du Crépuscule
Un homme au front pâli, courbé sous les années,
Errait parmi les murs croulants, spectres mouvants,
Dans une cité morte aux pierres ruinées.
Son regard, tel un phare au milieu des brumes,
Cherchait l’écho perdu d’un rêve enseveli ;
Ses doigts, frêles pinceaux, frôlaient les parapets,
Comme pour ressusciter un monde avili.
« Ô cité, soupira-t-il, toi jadis si fière,
Tes arcs brisés racontent quel combat secret ?
Tes pavés, désormais foulés par la lumière,
Gardent-ils le soupir d’un amour indiscret ? »
Nul ne répondit. Seul, le vent mordant les pierres
Portait des sons lointains, murmures d’outre-tombe.
L’artiste, enveloppé d’une écharpe de brume,
Marchait, tel un esprit que le remords encombre.
Soudain, au détour d’une allée aux murs lépreux,
Une lueur dansa, fugace et clandestine.
Il crut voir une main, fine comme un fil d’yeux,
Dessiner dans la nuit une courbe divine.
« Qui donc ose, ici-bas, rivaliser d’ombrage
Avec les noirs dessins que la mort a tracés ? »
Dit-il, tandis qu’un rire, étrange et sans visage,
Glissait entre les rocs de marbre écorchés.
Il suivit ce reflet, fantôme évanescent,
À travers dédales de colonnes brisées,
Où les lierres mordaient la chair des vieux passants
Dont les bustes muets veillaient les chaussées.
Enfin, devant un porche aux arceaux délabrés,
Il vit naître une salle aux voûtes infinies :
Des fresques y dansaient, astres démesurés,
Peintes de mains divines en des temps bénis.
Là, sous un dôme noir constellé de poussière,
Un chevalet attendait, fantôme patient,
Et des couleurs, pareilles aux pleurs de lumière,
S’écoulaient en ruisseaux d’un vase grinçant.
« Voilà mon ultime théâtre ! » cria l’homme,
Saisissant un pinceau trempé de nuit et d’or.
« Je peindrai ton essence, ô cité qui consomme
Les rêves des mortels comme un fauve trésor ! »
Ses traits, illuminés d’une ferveur étrange,
Traduisaient le délire où l’exalté se perd ;
Chaque coup de pinceau, tel un coup de mélange,
Faisait surgir la vie au cœur de l’univers mort.
Il peignit des regards où brûlaient des étoiles,
Des mains jointes en prière aux ongles de sang,
Des enfants aux pieds nus courant sur les étoiles,
Et des loups éternels hurlant au firmament.
Mais plus il incarnait l’âme des murs antiques,
Plus ses forces fuyaient en un flux ténébreux ;
Ses cheveux, jadis noirs, blanchissaient, fantastiques,
Et ses yeux s’emplissaient d’un brouillard douloureux.
« Je touche au but… murmura-t-il, voix déchirée,
Ô toi, muse des lieux que le temps a maudits,
Prends ce dernier soupir, prends ma vie altérée,
Et donne à mon œuvre un souffle infini ! »
La nuit tomba, pesante, enveloppant les ruines,
Tandis que l’artiste, tel un cierge consumé,
Glissait vers le sol froid où ses mains orphelines
Lâchaient le pinceau lourd de tout un monde aimé.
À l’aube, quand le jour baisa les pierres grises,
On ne trouva de lui qu’un tableau inachevé :
Un homme aux bras ouverts, noyé de brumes grises,
Et des murs où dansait un soleil relevé.
Mais nul ne sut jamais, dans la cité muette,
Que l’âme du peintre, enlacée aux pigments,
Hantait chaque contour, chaque ombre imparfaite,
Pleurant son existence en d’éternels tourments.
La ville, lentement, sous les herbes voraces,
Disparut, emportant chefs-d’œuvre et souvenirs ;
Seul le vent chante encore, près des colonnes lasses,
L’hymne d’un artiste mort pour ses désirs.