L’Éphémère et l’Infini
Depuis que l’océan, trahissant son serment,
Avait englouti l’espoir sous ses crinières,
Laissant pour seul royaume un désert de tourment.
Il marchait, fantôme au cœur de nulle rive,
Sous un ciel de métal chauffé à blanc, brûlant,
Où le soleil mordait sa chair déjà captive,
Et le sable chantait son requiem tremblant.
Trois lunes avaient fui depuis le naufrage,
Trois lunes que ses mains, en creusant l’horizon,
Ne ramenaient que cendre et l’écho d’un mirage
Où dansait l’ombre vaine de sa raison.
Un soir où les dunes semblaient se contrefaire,
Se drapant d’or pâli comme un linceul flétri,
Il vit se dessiner les contours d’un mystère :
Une forme ondoyante au bord de l’infini.
C’était elle. Le vent, sculpteur mélancolique,
Avait tissé sa robe avec des fils de jour,
Ses cheveux déroulaient une nuit angélique,
Et ses yeux reflétaient l’envers de l’amour.
« Es-tu », murmura-t-il, « quelque esprit des limbes
Venu puiser ici le sang de mes regrets ? »
Mais elle, souriant comme on rompt un équilibre,
Lui tendit une coupe emplie de clairs de lait.
« Je suis celle qui veille aux fontaines secrètes
Où le temps s’évapore en vapeur de soupirs,
Celle qui danse au seuil des ombres imparfaites
Quand les astres blessés se changent en désirs. »
Il but. Et dans sa gorge, un automne de braise
Raviva la mémoire obscure des printemps,
Les visages aimés, les ports aux douces fraises,
Et les adieux muets glissés aux courants.
Elle prit sa main brune, écorce de naufrage,
Et l’entraîna vers l’ouest où rougissait le soir.
Ils parlèrent d’étoiles et de coquillages,
De tout ce que la mer garde en son grenier noir.
« Vois-tu », disait la voix plus douce que les moires,
« Chaque grain de sable est un instant volé,
Un rire, un sanglot pris aux mâchoires du soir,
Un baiser perdu dans les plis du néant. »
Il l’écoutait, buvant les mots comme des preuves,
Tandis que sous leurs pas, le désert, alchimiste,
Transformait l’éphémère en éternelles fleurs,
Faisant germer des lys là où germait la piste.
Nuits ! Nuits où leur souffle épousait la poussière,
Où le temps suspendait son sablier de fer,
Où chaque étreinte était une île prisonnière
Qui sombrait lentement dans la mer de l’hiver.
Mais un matin, l’amante aux paumes de rosée
Se mit à transparente, ainsi que le cristal.
« L’heure vient », soupira-t-elle, « où je serai brisée
Par le poids de ton cœur trop chargé de fatal. »
Il cria, suppliant les dunes complices,
Serrant contre son sein ce corps déjà léger,
Mais elle n’était plus qu’une pluie de cantiques,
Une brume qui fuit sans vouloir juger.
« Reviens ! » hurla-t-il à l’espace vorace,
Mais le sable mouvant, cruel chroniqueur sourd,
Engloutit jusqu’au nom qui brûlait sur sa face,
Et le ciel effaça les traces de leur amour.
Il erra, parchemin vivant que le vent use,
Portant en lui le deuil des printemps engloutis,
Tandis que le désert, immense et sans excuse,
Lui apprenait l’art lent de se sentir petit.
Un jour, il trouva l’eau – mais l’eau était salée,
Miroir amer tendu par quelque dieu moqueur.
Et comprenant enfin que la mer avait fui,
Il s’allongea pour dormir au creux de sa sœur.
Le sable recouvrit ses lèvres desséchées,
Ses yeux grands ouverts sur un ciel indécis,
Et les vagues lointaines, ironiques et lâches,
Chantèrent son épitaphe en langue de jadis.
Ainsi meurt un marin qui crut dompter les âges,
Dans l’étreinte funèbre d’un désert changeant,
Où chaque grain de temps, scintillant mirage,
N’est qu’un amour perdu que le vent va fanant.
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