Le Chant des Racines Éternelles
Sous un ciel lourd de nuages funèbres,
Un vieil homme aux regards de cendre erre,
Traînant son ombre à travers les ténèbres.
Ses pas foulent les feuilles d’antan,
Chaque bruissement, un écho du passé.
La forêt respire un soupir tremblant,
Comme un amour jamais confessé.
Il vient ici, chaque automne venu,
Chercher l’empreinte d’un visage perdu.
Soixante hivers ont creusé ses tempes,
Mais son cœur bat au rythme des étés lampes.
Un jour lointain, sous ces mêmes ramures,
Il rencontra l’éclat d’un rire pur.
Églantine, son nom bruissait aux fontaines,
Fleur de lumière en ces bois incertains.
Leurs mains frôlèrent l’aube et le gel,
Leurs mots dansèrent entre ombre et miel.
Mais le destin, tisserand perfide,
Ourdit pour eux une trame rigide.
Son père à elle, gardien des frontières,
Lui interdit les sentiers de pierre.
« Jamais un errant, sans terre ni titre,
Ne cueillera cette rose interdite. »
Ils se jurèrent, sous un hêtre ancien,
De défier l’astre et le quotidien.
Un anneau d’ortie, un ruban de lierre,
Scellèrent leur pacte en cette clairière.
Mais les saisons sont maîtres cruels :
L’hiver vola son souffle de ciel.
Elle disparut un matin de givre,
Sans adieu, sans trace pour le suivre.
Depuis ce jour, l’homme revient
Marcher l’ellipse d’un chagrin éteint.
Il parle aux souches, aux mousses complices,
Aux champignons pâles, livides suppliques.
Un soir pourtant, quand septembre expire,
Une lueur naît entre les sapins noirs.
Une forme glisse, diaphane et fière,
Vêtue de brume et de lumière.
« Reconnais-tu l’ombre de nos vingt ans ?
Le serment gravé dans l’écorce des vents ? »
Sa voix est un ruisseau sur pierre chaude,
Un chant oublié que le temps rôde.
L’homme tremble, ses yeux embués
Cherchent en vain les traits effacés.
« Est-ce ton spectre ou mon remords
Qui danse ici, porte-bannière des morts ? »
Elle approche, main tendue vers lui,
Mais sa paume traverse le vide inouï.
« Je suis le songe que le gel conserva,
L’écho du baiser que tu n’osas donner. »
Alors elle conte, avec des mots d’ambre,
Le destin cruel qui sépara leurs membres.
Enfermée au fond d’un couvent austère,
Elle expira loin de lui, solitaire.
« Mon corps dort sous les ifs penchés,
Mais mon âme erre où nos vœux sont cachés.
Chaque automne, je brise l’éternel silence
Pour danser avec ton repentir qui avance. »
Ils marchent ensemble, fantôme et vivant,
Sur le chemin que le temps dévore.
Les arbres penchent leurs fronts mouvants,
Témoins muets de cet amour encore.
Elle lui montre où les muguets mentent,
Où les sources pleurent des larmes d’argent,
Où le lierre étreint les troncs blessés
Comme leurs cœurs jamais enlacés.
Quand l’aube point ses doigts rosés,
La vision pâlit, déjà éclipsée.
« Reviens demain », souffle-t-elle en cendre,
« Notre histoire attend son dernier chapitre. »
Vingt nuits durant, il brave les frimas,
Collant son cœur aux pas de l’apparition.
Elle lui révèle, en fragments-amers,
Le puzzle douloureux de leur destinée.
La vingt-et-unième nuit, sous la lune rousse,
Elle mène l’homme à une fosse douce.
« Ici gît ce qui put être et ne fut pas,
Le berceau vide de nos lendemains perdus. »
Dans un suaire de racines et de terre,
Un petit squelette dort en prière.
« Notre enfant », dit-elle, « né de nos songes,
Mort avant même d’ouvrir ses paupières. »
L’homme s’effondre, creusant la terre noire,
Mêlant ses pleurs à cette histoire.
Le ventre du monde est froid et dur,
Il embrasse les os minuscules, impurs.
« Pourquoi ce secret gardé si longtemps ? »
« Le chagrin est lourd à porter vivant.
Maintenant va, notre heure est venue,
La forêt nous attend, nos âmes perdues. »
Un grondement naît au fond du val,
Les arbres gémissent un chant fatal.
La terre s’ouvre en un rire immense,
Engloutissant l’homme dans sa danse.
Au matin, rien ne subsiste ici
Qu’un vieux ruban noué à un chêne noirci.
Les bûcherons diront, voix empreintes de mystère,
Avoir entendu deux rires se fondre dans l’air.
Depuis, quand l’automne ensanglante les bois,
Deux murmures dansent sous les hêtres froids.
L’un parle d’amour, l’autre de minutes,
Et le temps, ému, suspend son étreinte.
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