Poésie juive yéménite
La poésie juive yéménite, souvent appelée « poésie paraliturgique » en raison de sa nature religieuse, fait partie intégrante de la culture juive yéménite depuis des temps immémoriaux. Les Juifs du Yémen ont préservé une organisation de chant bien définie qui inclut non seulement la création poétique elle-même, mais également une performance vocale et de danse, accompagnée dans certains villages en dehors de Sana’a par des percussions sur une boîte de conserve vide (tanakeh) ou un plateau en cuivre. Les Juifs du Yémen, respectant strictement la halakha talmudique et maïmonidienne, ont observé la gezeirah qui interdisait de jouer des instruments de musique, et « au lieu de développer le jeu d’instruments, ils ont perfectionné le chant et le rythme. » Cette organisation a été intégrée dans les modes de vie familiers aux Juifs du Yémen. Les textes utilisés dans cette organisation ont été mis par écrit et ont ensuite été inclus dans des collections de chansons séparées (dīwāns).
Les structures sociales et les normes de la culture juive yéménite prévoient des environnements séparés pour les hommes et les femmes, où les sexes ne sont jamais mélangés. Les chants des hommes expriment généralement les aspirations nationales du peuple juif, et sont très éloignés des chants associés à l’environnement musulman, tandis que les chants folkloriques des femmes juives étaient chantés de mémoire (poésie non écrite) et exprimaient les joies et les peines inhérentes à leur vie quotidienne, étant généralement plus proches de celles des femmes musulmanes.
Genres de chants
En termes de structure formelle, les chants des hommes lors des rassemblements sociaux parmi les Juifs yéménites se divisent en trois genres : nashīd (introduction), shirah (poème) et hallel (louange). Le nashīd est écrit sous la forme d’une qaṣīda arabe classique. Tous les chants de louange sont toujours précédés d’un chant de supplication et d’implorations, connu en arabe sous le nom de nashīd. La shirah (poème) est un terme hébreu désignant deux structures connues issues de la poésie arabe, à savoir le muwashshaḥ (littéralement « poème ceinturé », étant la forme poétique la plus courante au Yémen) et le zajal andalou. Dans le muwashshaḥ, la première strophe du poème établit une rime spécifique, et chaque strophe qui suit est composée de quatre vers dont la dernière rime est identique à celle de la strophe originale. Ces genres poétiques étaient strictement composés en hébreu, ou bien avec un mélange des deux langues (hébreu et judéo-arabe), bien qu’il puisse parfois être trouvé uniquement en judéo-arabe. La grande majorité de ces compositions se trouve dans une anthologie connue sous le nom de Dīwān.
Anthologie de poèmes paraliturgiques (« Diwan »)
Le nashīd est un chant qui, du début à la fin, utilise un seul mètre et une seule rime. Il est chanté par un ou, au maximum, deux membres d’un groupe, qui sont répondus par le reste des participants. Le nashīd est un chant sérieux, souvent triste. Son contenu est religieux plutôt que séculier, le ton étant lent et monotonique, tandis que la langue utilisée est généralement l’hébreu.
Les shirot constituent le principal et essentiel composant de la performance chantée. Si l’atmosphère est agréable, plusieurs shirot (pluriel de shirah, ou poèmes) sont interprétées les unes après les autres. « Lorsque l’atmosphère devient chargée, le chanteur change de mélodie ou modifie le rythme. Plus il y a de changements, plus l’événement est réussi et plus le chanteur est estimé. »
Dans le dīwān, la disposition structurelle de la shirah (poème), comme celles interprétées lors des célébrations de mariage, est le muwashshaḥ double, une structure caractéristique de la poésie musulmane et juive du Yémen. Le sens ici est que le qufl, ou simṭ (les lignes qui concluent la rime), est composé de deux parties : (a) trois ou quatre lignes courtes, incarnant une seule rime qui change d’une strophe rime à une autre ; (b) deux longues lignes dont la rime est identique dans toutes les strophes.
Exemple de poème en français
À la lumière de l’aube, je me lève,
Les rêves s’effacent, comme la brume s’en va.
Dans le jardin de mes pensées, un arbre de vie,
Où les fruits de mes espoirs brillent d’harmonie.
Ô mon Dieu, dans l’exil, je cherche ta voix,
Les murmures du passé, mélodies de choix.
Reçois ma prière, comme un doux nashīd,
Sur les ailes du vent, que mon cœur se faufile.
Reviens, ô lumière, dans ma sombre nuit,
Que l’espoir renaisse, que mon âme s’illumine.
Analyse du poème
Ce poème respecte le genre poétique du nashīd, car il s’agit d’une supplication religieuse, exprimée avec une rime constante et un mètre uniforme. Le ton est sérieux et introspectif, tout en évoquant des thèmes de quête spirituelle et de l’espoir, caractéristiques de ce genre.