Le Soldat et les Échos du Silence
Un homme ébranlé par les fureurs de la guerre,
Portant l’uniforme aux déchirures de terre,
S’avance d’un pas que la douleur défend.
Ses yeux ont vu choir les aurores sanglantes,
Ses mains ont serré des adieux sans retour,
Mais son cœur, meurtri par l’absence du jour,
Cherche en ces murs saints des lueurs vacillantes.
La cathédrale dort sous les voûtes obscures,
Où les vitraux morts, éteints par les années,
Gardent dans leurs plombs des larmes figées,
Comme un chant muet de blessures impures.
Il murmure un nom que la pierre répète,
Un nom emporté par les vents du passé,
Un nom qui résonne en échos insensés,
Fragile soupir que la nuit inquiète.
« Ô murs impassibles, témoins des prières mortes,
Rendez-moi les jours où l’espoir m’habitait,
Où le ciel avait la douceur du duvet,
Où l’amour brillait sans le secours des portes ! »
Mais le sanctuaire, sourd à ses suppliques,
Ne répond qu’en tendant l’écho de son tourment,
Et le soldat triste, égaré profondément,
S’enfonce plus loin dans les ombres mystiques.
Soudain, une lueur, faible et pourtant vivace,
Glisse sur les bancs usés par les repentirs,
Effleure un pilier où s’entrelacent les lys,
Et danse en spirale autour de sa cuirasse.
Il suit ce reflet, fantôme de lumière,
Qui guide ses pas vers la crypte interdite,
Où le souvenir des morts ressuscite,
Dans un souffle froid qui traverse les pierres.
Là, parmi les gisants aux paupières de marbre,
Une femme apparaît, drapée de longs voiles,
Ses cheveux d’ébène enlacent les étoiles,
Son visage pâle est un miroir de l’arbre.
« Toi que j’ai aimée au-delà des nuages,
Toi dont les regards ont bercé mes combats,
Pourquoi ton absence est-elle un si lourd fardeau ?
Parle, ombre chérie, romps ce silence sauvage ! »
Elle tend la main, spectre aux doigts diaphanes,
Et sa voix se mêle aux murmures du lieu :
« L’amour qui nous lie est plus vieux que les dieux,
Mais le temps jaloux dévore les profanes.
Cherche dans ces murs la vérité perdue,
Celle qui éclaire et brûle à la fois,
Celle qui transforme en flammes les voix,
Et consume l’âme en l’ayant parcourue.
Suis le fil d’argent des mémoires enfouies,
Interroge l’écho des pas disparus,
Déchiffre les mots que les murs ont tus,
Et tu sauras pourquoi nos routes sont finies. »
Le soldat frémit sous l’aveu de l’absence,
Son cœur se déchire en silencieux sanglots,
Il veut étreindre cette forme sans os,
Mais l’ombre s’effrite en danses décadentes.
Il parcourt alors les couloirs sépulcraux,
Traversant la peur et les brumes anciennes,
Cherchant dans chaque angle un fragment de ses peines,
Un signe gravé du sceau des jours meilleurs.
Dans une chapelle aux fresques effacées,
Où le Christ lui-même a perdu son regard,
Il trouve un coffret rougi par les hasards,
Scellé par un lien de racines tressées.
À l’intérieur, un miroir sans image,
Un ruban de soie aux couleurs de l’adieu,
Et des parchemins noircis par les aveux,
Écrits d’une encre pâle et sans équipage.
Il déroule un texte où s’entremêlent les pleurs,
Révélant l’amour qu’on lui cacha jadis,
Les mensonges purs, les serments interdits,
Et l’heure où la mort sépara leurs douleurs.
« Elle t’attendit jusqu’à l’hiver des âmes,
Mais un soir d’automne où les cieux étaient lourds,
Elle crut ton corps perdu dans les tambours,
Et s’envola loin, par-delà les lames. »
Le soldat comprend que son retour est vain,
Que le temps volé ne se rend plus visible,
Que l’amour éteint, même indestructible,
Ne peut ressusciter un bonheur en ruine.
Il monte à la tour où le bourdon se tait,
Contemple la ville endormie sous les brumes,
Et sent dans son sein gronder les amertumes
Qui rongent les forts jusqu’à l’ultime paix.
« Ô vérité, sœur cruelle de la souffrance,
Pourquoi m’as-tu pris ce qui faisait mon jour ?
Pourquoi m’as-tu fait cet horrible séjour
Dans les souvenirs où saigne l’espérance ? »
Le vent ne répond qu’en gémissant très bas,
Les cloches muettes refusent de se plaindre,
Et le soldat voit, au bord du vide à peindre,
L’ombre de l’amante qui lui tend les bras.
Il ferme les yeux, embrasse le néant,
Et se laisse choir dans l’abîme nocturne,
Tandis que la femme, spectrale et taciturne,
Disparaît en poussière au chant du néant.
La cathédrale garde en ses veines de pierre
Le sang des aveux, le poids des mots perdus,
Et chaque matin, quand les cieux sont vendus,
On entend gémir une étrange prière.
C’est l’âme du soldat, éternel exilé,
Qui cherche en pleurant le visage de l’ange,
Et dont les sanglots, mêlés au vent étrange,
Racontent l’amour que le temps a volé.
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