Le Chant éternel du Désert
Un homme marche seul, ombre au cœur de l’ennui,
Portant comme trésor un luth brisé de bois,
Dont les cordes, jadis, parlaient aux cieux absents.
Son nom, Élias, flotte en écho vagabond,
Effacé par les vents qui mordent l’horizon.
Ses doigts, naguère habiles à sculpter les accords,
Ne cherchent plus qu’à fuir l’étreinte du remords.
Un soir où le soleil, saignant sur les collines,
Teignait l’azur en pourpre ainsi qu’un drap royal,
Il crut voir, dans un mirage aux teutes opalines,
Une forme danser au rythme du fractal.
Ses cheveux, noirs torrents cascadant sur ses bras,
S’enroulaient à la brise en un lent contrechant ;
Son regard, deux saphirs traversés d’infini,
Pieuvait l’âme du vent d’un silence ébloui.
Elle avança, légère, et sous ses pieds nacrés
Le désert engendra des lys éphémères,
Tandis que sa voix pure, en ondes cristallines,
Murmurait sans un mot l’hymne des solitudes :
« Je suis l’esprit des sables, l’écho des anciens jours,
Celle que nul n’étreint, que le désert enfouit.
Mon corps n’est que poussière et mes lèvres, mirages,
Mais j’écoute chanter les âmes en voyage. »
Élias, subjugué, sentit son luth frémir,
Comme si chaque note, en secret, la réclamait.
Il posa sur les cordes une main incertaine,
Et les pleurs du bois mort jaillirent en prière :
Une mélodie triste, écho de l’univers,
Où chaque vibration portait l’ombre d’un adieu.
La femme, alors, sourit, et d’un geste fluide,
Effleura l’instrument d’une caresse liquide.
« Musicien perdu, ton chant m’a appelée,
Moi qui dors sous les dunes depuis des millénaires.
Tes accords ont troublé le sommeil des étoiles,
Et voilà que mon cœur, poussière, s’est ému.
Mais l’amour qui naîtrait entre l’ombre et la flamme
Ne peut que consumer celui dont l’heure est venue.
Fuis, Élias ! Le désert n’aime que ses enfants ;
Il dévorera l’étranger jusqu’à ses ossements. »
Mais le joueur, hagard, déjà brûlait d’entendre
La voix qui transformait ses ténèbres en feu.
« Que m’importe la mort si ton regard m’éclaire ?
Mon luth n’est plus qu’un corps vidé de sa lumière.
Jouons ensemble un chant qui défie le néant,
Un hymne où nos deux souffles ne feront qu’un instant. »
Elle pleura, sachant que son destin funeste
Lié aux sables mouvants scellait leur funéraille.
Pourtant, chaque nuit, quand la lune argentée
Ouvrait son œil lacté sur le monde endormi,
Ils unissaient leurs voix en une étrange offrande :
Le luth ressuscitait sous les doigts de l’amante,
Et leurs chants, mêlés d’or et de mélancolie,
Faisaient trembler le ciel d’une indicible fièvre.
Mais l’aube, chaque fois, déchirait leur étreinte,
Car la femme s’effaçait aux premiers feux du prince.
Un matin, Élias, ivre de sa folie,
Voulut fixer son âme au-delà des mirages.
« Je veux voir ton vrai visage, toucher ton essence,
Même si ce baiser doit m’arracher la vie ! »
Elle résista, voile de larmes et de brume :
« Notre amour est un puits sans fond, sans eau, sans lune.
Cherche-moi dans le vent, écoute-moi en songe,
Mais ne demande pas ce que le sort nous plonge. »
Il insista, saisit son poignet de nuée,
Et sous ses doigts humains, la forme se brisa.
Un cri déchira l’air, plus amer que les lames,
Tandis qu’en tourbillon dansait la poussière.
« Adieu, mon imprudent, tu as voulu connaître
Le secret interdit à tout vivant qui passe.
Maintenant, le désert va t’ensevelir ici,
Et nos chants ne seront qu’un murmure obscurci. »
Élias, à genoux, vit le sable l’étreindre,
Monter jusqu’à sa bouche en vagues de silence.
Son luth, enseveli dans la tourmente aveugle,
Poussa un dernier son, rauque et déchirant.
La femme, spectre impuissant, hurlait sans voix,
Tandis que le ventre aride avalait son crime.
Quand vint la nuit, plus rien ne troubla l’étendue,
Sinon une chanson que les dunes ont sue.
Depuis, quand le simoun se lève en furie,
On entend deux voix tristes mêler leurs sanglots :
L’une pleure l’amour que le sort a banni,
L’autre maudit l’instant où son cœur a trahi.
Le désert, éternel, garde en son sein stérile
La mémoire d’un chant qui rêvait d’infini,
Et chaque grain de sable, en secret, répète encore
L’hymne funèbre né de l’amour que Dieu mort.
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