Le Jardin des Échos Perdus
Ses pas creusaient la nuit comme un sillon de braise.
Le vent, vieil alchimiste, effilochait ses secrets
Dans les plis de son manteau brûlé par la falaise.
Il venait de très loin, des pays sans réponses,
Où l’aube se déchire aux dents des précipices.
Son cœur, coffre scellé, gardait pour seule prononce
Le nom d’un jardin né dans un songe propice.
Un jour, entre deux mondes, un vieux livre en cendre
Lui avait murmuré l’existence d’un lieu
Où chaque fleur était un instant à reprendre,
Où l’âme en exil boit la lumière des dieux.
Il cherchait depuis l’âge où les rêves sont glaives,
Traversant océans et mirages damnés,
Portant comme un remords le deuil de ses premiers rêves,
Et l’espoir, ce poison lentement distillée.
***
Un soir que le ciel pleurait des larmes d’opale,
Il vit surgir un mur hanté de lierres fous.
Les pierres chuchotaient une langue ancestrale :
« Passe, voyageur las, ce royaume est à vous. »
La grille, dent de fer rougée par les décombres,
S’ouvrit en un soupir de femme qui se rend.
Il entra. L’air tremblait, chargé de parfums sombres,
Et soudain l’univers bascula dans le présent.
Des allées de jasmin flottaient comme des âmes,
Des rosiers en pleurs tendaient leurs bras nacrés.
Chaque pétale était une heure qui se pâme,
Chaque arbre un prisonnier de temps évaporé.
Au centre, un bassin pâle où dansait une lune
Miroitait l’infini dans son œil de cristal.
« Bois, » disait l’eau, « et tu sauras quelle infortune
Fit de ce lieu le dernier refuge idéal. »
Mais l’homme, ivre déjà de cette paix étrange,
Cueillit une fleur bleue aux veines de sang sec.
La tige se brisa dans un cri qui dérange
Les ombres endormies au creux des labyrinthes.
***
Alors le jardin changea. Les murs se mirent à croître,
Les statues tournèrent leurs yeux de marbre clair.
Une voix sans visage, écho venu de naître,
Murmura : « Tu as touché à la plaie de l’hiver. »
Les roses se fermèrent en poings de nostalgie,
Le bassin se couvrit d’une peau de métal.
« Tu voulais un refuge, une éternelle orgie
De beauté ? Viens donc voir le vrai visage du mal. »
L’homme vit apparaître, sous un porche de ronces,
Des milliers de reflets dans des miroirs brisés.
Chaque éclat de verre pleurait une réponse
Aux pourquoi que la vie n’avait jamais pesés.
Il reconnut son père, mort sans un dernier geste,
Sa mère aux yeux éteints par les mensonges crus,
L’amour qui s’était enfui comme un vol de celeste,
Et lui, petit garçon aux songes disparus.
« Ce jardin est à toi, » dit la voix implacable,
« Chaque homme y plante un arbre en entrant ici-bas.
Mais l’oubli est le prix de toute fable aimable,
Et personne ne peut fuir ce qui ne meurt pas. »
***
L’homme courut. Les fleurs devenaient des épines,
Les fontaines chantaient des requiems moqueurs.
Il comprit trop tard que les routes divines
Ne mènent qu’à soi-même, au fond de la douleur.
En trébuchant, il vit une dernière rose,
Pâle, qui résistait aux ricanements noirs.
« Prends-moi, » souffla-t-elle, « je suis la chose
Que tu cherchais avant de naître sous les soirs. »
Mais quand il allait saisir cette ultime chance,
Le jardin tout entier se mit à vaciller.
Les murs tombèrent en poussière de silence,
Les échos se fondirent dans le crépuscule.
Il se retrouva seul, dans un champ de ruines,
Serrant contre son cœur un pétale fané.
La lune, spectatrice des drames clandestins,
Cachait son visage froissé de désolation.
***
Depuis, on dit qu’il erre aux confins des villages,
Portant comme un suaire son manteau de hibou.
Il parle aux vents salés, compose des messages
Que personne ne lit car ils sont écrits en fou.
Parfois, les nuits d’orage où le ciel se déchire,
On l’entend sangloter près des jardins fermés.
Son ombre danse avec les feuilles qui soupirent,
Prisonnière d’un rêve à jamais inachevé.
Et le pétale bleu, cette relique amère,
S’effrite lentement dans sa main sans chaleur.
Chaque fragment qui tombe est une prière éphémère,
Une lettre d’adieu à l’enfant qui avait peur.
Ainsi va le destin de ceux qui, sans mesure,
Cherchent dans les miroirs un reflet de l’azur.
Le jardin n’était pas un lieu, mais une blessure,
Et la clé du bonheur… un leurre trop obscur.
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