Le Naufragé des Sables Infinis
Sous un ciel de cuivre où roulaient des larmes d’astres pâlis.
Un homme, échoué sur la lèvre aride du néant,
Marchait. Ses pieds saignants sculptaient des sillons d’agonie,
Traçant dans l’infini l’énigme de son périple absent.
Il se nommait jadis, du temps où les vagues parlaient,
Léonide, enfant des embruns et des colères de Poséidon.
Mais les flots l’avaient craché sur ce rivage muet,
Où le sable, vorace, dévorait jusqu’au nom des donjons
Qu’il bâtissait en rêve, avant que l’abîme ne se tait.
Trois lunes avaient vu ses doigts creuser la soif,
Trois lunes où sa peau, par les rafales lacérée,
Se souvenait du sel, des algues, des brisants trahis.
Il errait, guettant l’ombre d’une voile égarée,
Mais le désert, trompeur, lui tendait des mirages ennoblis.
Un matin, il crut voir jaillir du néant une source,
Un lacis de reflets dansant comme un chœur de sirènes.
Il courut, les bras ouverts à l’éternelle dérision,
Et but l’illusion jusqu’à la lie, jusqu’à la peine
De sentir ses lèvres séchées mordre la poussière du songe.
Alors, il parla seul, face à l’écho qui se moquait :
« Ô toi qui fis de ma chair un festin pour les vents,
Rends-moi le goût des nuages, le murmure des régions humides !
Je donnerais mes yeux, mes mains, mes os tremblants,
Pour une goutte d’aube accrochée aux cils du vide. »
Le désert répondit par un souffle de sarcasme,
Soulevant un voile de sable où dansait un visage ancien :
C’était celui d’un enfant, aux joues roses de naufrage,
Qui lui tendait une amphore emplie d’océan brûlant.
« Prends, et oublie », disait le fantôme au rire évanescent.
Léonide, hagard, saisit l’urne mensongère,
Et but. L’eau salée embrasa ses entrailles mortes,
Mais dans cette brûlure, il vit renaître un feu sacré :
Des ports enfouis, des rires, des adieux à l’aurore,
Et sa mère, tissant sa voix dans les filets égarés.
« M’entends-tu ? » gémit-il à l’oreille des dunes.
Le vent volutaire emporta ses mots en poussière d’étoiles.
Il comprit alors le pacte que l’abîme exigeait :
Pour revivre un souffle d’avant, il fallait, pierre par pierre,
Démanteler sa mémoire, offrir son âme au banquet.
Il se mit à bâtir un temple avec ses souvenirs,
Édifice fragile où chaque pierre était un sanglot :
Là, la caresse d’un chien perdu dans les tempêtes,
Ici, le premier baiser volé à l’ombre d’un halo,
Plus loin, le visage de son père, noyé dans les tempêtes.
Une à une, il jeta ses reliques au vent vorace,
Et le désert, repu, lui offrit en échange
Une minute d’eau fraîche, un soupir de végétal,
Puis reprit son festin, insatiable, étrange,
Tandis que Léonide, vidé, devenait minéral.
Au septième jour, il ne savait plus son nom,
Ne distinguait plus l’aube du crépuscule cannibale.
Il marchait, automate aux prunelles de verre blond,
Portant en lui l’écho d’un rire, d’un cri, d’un scandale
Dont il ne pouvait plus dire s’ils venaient de son front.
Un soir, il trébucha sur une stèle invisible,
Où étaient gravés des mots dans une langue perdue :
« Ici repose celui qui donna tout pour rien.
Passant, si tu cherches sa tombe, regarde l’étendue :
Son corps est le sable, son souffle est le tien. »
Il s’allongea, épousant la caresse du néant,
Et sentit le désert l’avaler comme une offrande pure.
Dans un ultime éclair, il revit la mer tonnante,
Les mats brisés chantant l’hymne des sépultures,
Et son cœur, une ancre rouillée, sombra dans l’instant.
Maintenant, quand la lune argente les vagues de sel,
On dit qu’un murmure erre entre ciel et poussière,
Répétant une énigme que nul ne peut traduire :
« J’ai troqué ma mémoire contre un puits sans lumière,
Et mon ombre s’efface où commence l’éther. »
Le désert, éternel, étend son linceul de brume,
Gardien silencieux d’un sacrifice ignoré.
Et les étoiles, témoines de ce drame qui fuit,
Versent chaque matin une larme de rosée
Où se mire, éphémère, un visage effacé.
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