Le Chevalier des Sables Éternels
**I. L’Appel du Désert**
Sous un ciel de cuivre où le soleil agonise,
Un cavalier d’argent fend les vagues de brume,
Son armure, écorchée par les dents de la bise,
Sonne le glas d’un rêve aux frontières de l’écume.
Le désert, océan figé en son délire,
Déroule à l’infini son linceul de poussière,
Et le vent, violoniste égaré dans l’empire,
Joue sur ses os blanchis une plainte première.
Il chevauche, hagard, vers un mirage ancien :
Une tour de cristal où brûle un feu sublime,
Gardée par les serments d’un amour syldavien
Qui lia deux regards au seulet d’un abîme.
Mais le sable, vipère aux écailles mouvantes,
Engloutit chaque pas dans son rire vorace…
Et l’horizon se voile, ombre aux lèvres savantes,
Qui murmure l’adieu que son cœur redoutait.
**II. La Rencontre des Ombres**
Un soir où les étoiles saignaient sur les dunes,
Il vit danser au loin une forme fragile,
Robes de soie nocturne écloses sous la lune,
Chevelure d’ébène où glissait un péril.
C’était elle, Ismérie, âme en exil des brumes,
Dont les yeux reflétaient l’encre des nuits sans fin,
Fleur née entre deux mondes que le destin allume
Pour mieux les consumer au bûcher du devoir.
— « Qui donc erre, dit-elle, en ces landes stériles
Où même les démons ont perdu leur chemin ?
Votre épée est rouillée, et vos pas inutiles
Cherchent un Graal vide aux mensonges du thym… »
Le chevalier, blessé par cette voix trop pure,
Détacha lentement son heaume aux crins pâlis :
— « Je suis l’homme qui porte en sa poitrine obscure
Le poids d’un serment mort et d’un amour trahi. »
**III. Le Pacte des Étoiles**
Ils marchèrent trois lunes, buvant l’aube fragile,
Partageant le silence et les larmes du sel,
Lui, soldat de l’oubli ; elle, reine des villes
Dont le royaume gît sous un linceul de ciel.
Un matin, elle chute, et sa main déjà cendre
S’accroche à son armure en un geste éperdu :
— « Écoute, Gauvain… Les sables vont me prendre.
Notre amour est le prix que réclame l’absolu.
Je suis née du mirage où se noient les braves,
Ombre offerte en tribut aux dieux insatiables.
Fuis ! La prochaine aurore scellera ton épave
Dans les geôles de sel où pleurent les coupables… »
Mais lui, nouant ses doigts aux frêles branches d’ambre
De la femme-illusion que le désert enfanta,
Jura sur son sang sec de vaincre les décombres
Et d’arracher son âme aux griffes de Aïta.
**IV. L’Ultime Caravane**
Ils trouvèrent un puits aux lèvres éventrées,
Gorge ouverte vers l’astre qui calcine les os,
Et au fond, un reflet de clarté mutilée
Qui dansait tel un feu follet sur les tombeaux.
— « Bois ! » ordonna la voix d’Ismérie tremblante,
Tandis que son corps frêle ondulait comme un chant.
— « Cette eau est mon essence, ma prison vacillante.
L’avaler, c’est sceller ton destin à mon sang. »
Il but, et dans sa gorge explosa un univers :
Déserts pulvérisés, cités en chrysalides,
Galops de licornes noires à travers les mers
D’ambre où se noyaient les étoiles timides…
Quand ses yeux se rouvrirent, elle n’était plus
Qu’une statuette d’argile aux paupières closes,
Tandis qu’un rire amer, venu des nues perdues,
Griffait l’éternité de ses serres moroses.
**V. La Danse des Adieux**
Il chargea sur son cœur l’idole aux traits aimés,
Et reprit sa marche au-devant des colères,
Tandis que le simoun, démon enraciné,
Lui jetait au visage des poignards de lumière.
Chaque nuit, il rêvait de sa voix cristalline
Qui lui contait l’amour des palmiers et du vent,
Mais au réveil, la brise aux senteurs assassines
Ne portait que l’odeur du néant triomphant.
Un soir, l’horizon se fendit en sept plaies :
La tour de cristal surgit, flamme dans les ténèbres,
Et du sommet, un chant de sirène égarée
Appelait le guerrier à devenir funèbre.
— « Entre ! » hurlait la voix qui déchirait les veines,
« Et ton amour renaîtra des cendres du temps ! »
Mais dans ses bras, l’argile eut un sourire à peine,
Puis tomba en poussière au seuilet des tourments.
**VI. L’Écho du Sacrifice**
Alors, le chevalier, sculpteur de son supplice,
Plongea dans la tour vide où rugissaient les sorts,
Cherchant parmi les cendres un reste de délice,
Mais ne trouva qu’un miroir brisé – son remords.
Au centre, un mot tracé dans la langue des anges :
« AIMER », et sous ce mot, une tache de sang
Où se reflétait, pâle, une image étrange :
Ismérie pleurant sur son corps impuissant.
Le vent entra soudain par les fissures du rêve,
Emportant les débris de ce mensonge saint,
Et Gauvain comprit alors que son cœur crève
Non de n’avoir pu vaincre, mais d’avoir été vaincu.
Il s’allongea, son âme épousant les nuages,
Tandis que le désert, maternel et cruel,
Recouvrait son corps las de lentes couches d’or,
Érigeant pour tombeau le lit de l’Éternel.
**VII. L’Éternité du Chant**
Maintenant, quand la lune inonde les collines
De son lait argenté nourrissant les serpents,
On entend résonner sous les dunes câlines
Un duo séparé par le mur du néant :
Une voix masculine, éraillée de tempêtes,
Qui supplie les sables de rendre son trésor,
Et un écho féminin, plus léger que les fêtes,
Murmurant : « Je t’attends au-delà de l’aurore… »
Mais l’aube chaque fois déchire ce mystère,
Et le soleil, tyran couronné de regrets,
Efface d’un souffle ardent les mots de la terre
Où s’écrivit jadis un impossible souhait.
Seul persiste, infini, le chant du cavalier
Qui chevauche toujours les vagues du désert,
Portant dans ses bras morts l’ombre d’un baiser
Qui jamais ne connut la saveur de la chair.