Le Dernier Soupir du Pinceau
Où l’haleine des cieux se mêle au chant des flots.
Un homme au manteau sombre, errant comme un stoïque,
S’accoude à la balustre où meurent les sanglots.
C’est Élias, peintre aux mains froides d’angoisse,
Dont les toiles sans âme n’ont jamais su parler.
Il cherche en vain l’éclair qui soudain éblouisse
Le néant de son art, trop lourd à contempler.
La pluie, lente complice, enveloppe son être,
Tisse un linceul de brume aux reflets opalins.
Soudain, tel un pétale échappé d’un fenêtre,
Apparaît une forme au détour des chemins.
Une ombre se déploie sous l’ombrelle de soie,
Ses pas glissent dans l’eau qui danse sur les pavés.
Le temps suspend son vol, le peintre perd sa voie :
Dans ses yeux verts et calmes, tout un monde est lavé.
« Ô vous dont le visage est un matin d’automne,
Dites-moi par quel sort vos traits ensorcelés
Portent l’écho lointain des sirènes qui tonnent
Dans les abîmes noirs des rêves effacés ? »
Elle se tait d’abord, frêle rose trempée,
Puis d’une voix qui tremble entre printemps et deuil :
« Je suis l’errante aussi d’une route rompue,
Mon nom est Léonie… et je cherche un écueil. »
Leurs mots, légers d’abord, se font chaluts de flamme,
Chaque syllabe avouée est un filin secret.
Il lui parle des mers où sombrent les infâmes,
Elle chante les nuits où meurt le serinet.
Les jours suivants les voient, fantômes sur le pontage,
S’échangeant des soupirs plus doux que le satin.
Elle devient sa muse, son feu, son paysage,
L’unique couleur vive en son monde incertain.
Mais un soir, l’orage ayant déchiré les nues,
Elle vient, les cheveux en ruisseaux de douleur :
« Élias, il faut fuir ces rives devenues
Trop étroites pour nos cœurs brûlants de chaleur.
Demain, je serai prise en des noces funèbres,
Mon père a vendu l’aube de mes vingt printemps.
Le comte aux mains de glace, héritier des ténèbres,
M’emporte en son manoir où râlent les autans. »
Le peintre, foudroyé, saisit ses mains pâlies :
« Partons ! Je braverai les mers et leur courroux !
Je troquerais mes pinceaux pour cent vies gâchées,
Mais ne perdez-vous pas dans l’oubli des époux ! »
Elle pleure, et la pluie aux larmes se confond :
« L’amour qui naît dans l’ombre doit y rester cloîtré.
Vos toiles sont l’azur où mon âme répond,
Mourir en votre art serait mon vrai liber. »
Il peint alors fiévreux, trois nuits sans sommeil noir,
Un portrait où s’unit tout ce que Dieu créa.
Chaque touche est un souffle arraché au espoir,
Chaque trait est un adieu que la mort scellera.
Quand l’aube du troisième jour fendit les brumes,
Le chef-d’œuvre achevé brillait d’un feu sacré.
Mais Léonie, hélas ! gisait froide parmi les rhumes,
Son cœur ayant donné ce qu’il n’avait pas gardé.
Sur le pont déserté où ruisselle la peine,
Élias, fou d’horreur, serre le corps défait.
Il voit dans son tableau, sublime et vaste arène,
La vie de son aimée en pigments parfaits.
Alors il prend son âme, et d’un geste suprême,
La plonge dans les tons de pourpre et de saphir.
Le fleuve engloutit l’homme, et le tableau lui-même,
Tandis qu’au loin, un couple de colombes part en soupir…
Depuis, quand la bruine enrobe le vieux ponceau,
On dit qu’un couple y danse enlacé dans les airs.
Lui, tenant un pinceau trempé dans les étoiles,
Elle, offrant aux passants des roses de l’hiver.
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