Le Dernier Éclat du Pinceau Maudit
Un peintre au cœur meurtri, que la gloire dédaigne,
Errait parmi les monts, les forêts, les chapelles,
Cherchant l’éclair divin qui d’un trait l’accompagne.
Son âme, vaste désert où grondait le silence,
Appelait en vain l’onde où s’abreuvent les dieux ;
Les couleurs de sa vie avaient perdu leur danse,
Et le feu de ses yeux n’était plus que cendres vieux.
Un soir, comme le jour, las de luire, s’efface,
Il vit se profiler, au détour d’un sentier,
Un temple oublié, roi des ombres et de l’espace,
Dont les murs effrités défiaient le temps altier.
Les colonnes, blessées par les griffes des âges,
Portaient le deuil secret des marbres autrefois blancs ;
Les fresques, soupirant leurs muets témoignages,
Pleuraient l’éclat perdu de leurs soleils tremblants.
Le peintre, sous la voûte où veillaient les ténèbres,
Sentit frémir son sang d’un présage obscurci.
Un murmure léger, plus doux que les zéphyres,
Effleura son esprit comme un chant adouci :
« Viens », disait la voix pure en son argile humaine,
« Viens saisir l’invisible au creux de tes pinceaux.
Je suis l’ombre qui danse où la lumière peine,
L’écho du monde ancien qui hante tes pinceaux. »
Il suivit, hors du temps, cette invite étrangère,
Traversant les débris d’un passé solennel,
Jusqu’à ce qu’en un lieu baigné de lumière amère,
Apparût, suspendue au seuil de l’immortel,
Une forme de rêve, évanescente et grave,
Dont les traits semblaient nés du soupir des couchants.
Ses yeux, deux lacs d’azur noyés de brume suave,
Renfermaient tout l’éclat des soleils méchants.
« Je fus l’âme captive en ces murs sans prière,
Dit-elle, spectre lié aux pigments du destin.
Pour qu’un chef-d’œuvre naisse, il faut qu’un cœur s’altère,
Et que l’artiste offre au néant son lendemain.
Prends ton pinceau, peux-tu, pour une œuvre sublime,
Donner ton souffle entier, ton sang, jusqu’au dernier ?
La toile, alors, vivra d’une essence unanime,
Mais ton nom s’effacera dans l’oubli du grenier. »
Le peintre, ivre d’espoir, sourit à l’épouvante :
« Que m’importe la gloire aux clameurs de vaincu ?
Je veux, avant la nuit, que ma main frémissante
Enfante un astre unique en ce monde perdu ! »
La créature alors, d’un geste immémorial,
Tendit vers lui la main où brillait une palette
Où l’or se mêlait au pourpre spectral,
Où chaque teinte était une larme secrète.
Il peignit. Les heures, sous les voûtes sans âge,
Fondaient comme la cire au baiser des flambeaux.
Il jetait sur la toile, en un sublime orage,
Les vertiges du ciel, les sanglots des tombeaux.
La forme inachevée, à mesure, s’anime :
Un visage surgit, brûlant de vérité,
Où se mêlaient l’extase et l’horreur du sublime,
Où chaque trait était un cri d’éternité.
Mais plus il approchait du terme de l’ouvrage,
Plus son teint se fardait d’une pâleur de mort ;
Ses doigts, jadis agiles, tremblaient sur l’établi,
Et le pinceau suait des larmes de son sort.
« Arrête ! » eût dit quiconque eût vu ses mains maudites,
Lui, sourd à tout conseil, hurlait vers la beauté :
« Encore un trait, un seul, pour que la mort habite
Dans ce miroir du rêve où j’ai tout inventé ! »
Quand vint l’aube, gemme aux lèvres de l’abîme,
L’œuvre était achevée, et le peintre, debout,
Contemplait, éperdu, ce chef-d’œuvre ultime
Où vibrait l’univers en un seul regard fou.
La créature alors, d’une voix de marée,
Murmura : « Ton sang fut la sève de ces tons.
Regarde : chaque nuance est ta vie expirée,
Et ce visage aimé n’est autre que ton ombre. »
Il tomba, foudroyé par l’aveu trop cruel,
Tandis que le temple, tel un corps qui se brise,
Craquait sous le poids d’un destin irréel.
La toile, cependant, d’une lente entreprise,
Se mit à dévorer les murs, le sol, les cieux,
Et l’homme, consumé par son propre génie,
Vit s’éteindre ses yeux dans un rire odieux
De la muse, déjà fantôme d’agonie.
Il ne resta bientôt, sur les dalles sans âme,
Qu’un pinceau desséché, rongé par les remords,
Et l’écho d’un soupir qui nommait sans inflâme
Le prix de l’absolu : un cœur tranché, sans corps.
Depuis, lorsque la lune, au firmament s’accoude,
Un murmure léger, pareil à des sanglots,
Conte aux vents attristés l’histoire trop lourde
Du peintre qui offrit son âme aux pigments flots.
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