L’Écho des Abîmes
Étendait ses plis d’or sous les cieux sans pitié,
Et le soleil, clairon brûlant de l’infini,
Sonnait l’heure immobile où tout espoir s’effare.
Ses pas creusaient des cratères éphémères,
Traces que le simoun, souffle ancestral du vide,
Dévorait sans remords, comme un pleur qui se ride
Sur la joue implacable des terres étrangères.
Il allait, n’emportant qu’un astre pour boussole,
Et sa peau, cuir tanné par les colères de l’aire,
Gardait les sillons creux des larmes évaporées.
Le vent jouait en lui quelque funèbre rôle,
Mêlant à son haleine un chant précaire et frais :
« Ô toi qui meurs d’aimer ce qui jamais ne naîtra… »
Trois lunes avaient fui depuis la dernière ombre,
Depuis le dernier mot murmuré à son âme.
Le mirage, cruel et doux violoniste,
Tordait l’horizon vert en accords de mensonge.
Mais ce jour-là, le sable eut un frisson étrange.
Une forme surgit, drapée de silence,
Silhouette dansante où vibrait la semblance
D’un être ayant gardé les couleurs du mélange.
Elle avançait, les pieds légers comme des ailes,
Et sa robe, tissée de brumes et de fièvres,
Cristallisait l’éclair des rêves passagers.
L’homme crut voir fleurir une source nouvelle,
Un puits où se miraient les constellations,
Et tendit vers ce leurre ses mains hallucinées.
« Es-tu dupe du vent ou sœur de ma folie ? »
Cracha-t-il, voix rauque écorchant l’étendue.
L’inconnue inclina son visage de nue
Où dansaient les reflets d’une aube abolie :
« Je suis celle qui marche où les destins se nouent,
Gardienne des chemins que le temps désavoue. »
Ils parlèrent. Les mots, fruits mûrs d’une autre sphère,
Tombaient dans la fournaise en perles de rosée.
Elle disait les mers où la lumière use
Ses ongles d’ambre au flanc des galets éphémères,
Les forêts dont les troncs sont des colonnes d’âme,
Et les nuits où le ciel boit l’ivresse des flammes.
L’homme pleura. Ses pleurs creusèrent des ravines
Où germa soudain l’herbe tendre des promesses.
Il crut tenir enfin la clé des allégresses,
Ce diamant qui saigne au cœur des ruines.
« Reste ! » supplia-t-il, comme on prie un miracle,
« Je te nommerai l’aube, oasis ou cantique. »
Elle rit, et ce rire eut le son du verre
Qui se brise en étoiles sur le marbre du vide :
« Voyageur, mon royaume est celui des leurres,
Je ne suis que l’écho de ce que tu espères.
Regarde ! » Et l’horizon, déchirant son suaire,
Révéla l’océan de sable invariable.
Alors elle s’éteignit, fumée offerte au gouffre,
Tandis que tombait sur les paupières du monde
Un crépuscule rouge, lent linceul qui inonde
Les reliefs épuisés de pourpre et de souffre.
L’homme resta debout, statue de détresse,
Les bras chargés de Rien, ce fruit sec des désastres.
La nuit vint, peuplant l’ombre de spectres alabastres,
Et le froid mordit l’âme avec sa dent traîtresse.
Il comprit que l’étreinte était déjà mémoire,
Que l’unique vérité gisait dans l’épouvante :
L’univers n’est qu’un piège où la soif se lamente,
Où chaque main tendue est un reflet de gloire.
Alors il se coucha dans la couche stérile,
Offrant ses yeux brûlés aux vautours du silence.
Le désert engloutit sa chair et sa valliance,
Et sculpta dans les vents une plainte inutile :
« Ô vous qui traverserez ces steppes de mensonge,
N’y cherchez que la mort, seule fleur qui ne ment.
Toute main rencontrée n’est que l’ombre d’une ombre —
La solitude est l’unique amant consistent. »
Et depuis, quand le simoun hurle ses colères,
On dit qu’un cœur défunt bat sous les dunes fières,
Rappelant aux vivants le pacte originel :
Naître seul, mourir seul, dans le désert éternel.
`