Le Serment des Feuilles Mortes
Un homme erre, pinceau tremblant, âme en complot,
Portant l’encre du ciel en sa valise étroite,
Et le poids d’un génie que nul œil ne comprend.
La forêt, cathédrale aux piliers de mélancolie,
Murmure en langues d’antan des secrets sans clarté ;
Ses branches, doigts noueux, écrivent des prières
Que l’artiste, égaré, croit destinées à ses mains.
« Ô toi qui sculptes l’aube en éphémères songes,
Viens peupler mon silence de tes couleurs en deuil »,
Lui souffle un soir le vent, parfumé de mémoire,
Comme un appel lié aux racines du temps.
Il jure alors, devant le chêne sépulcral,
De n’aimer que ces lieux jusqu’à l’ultime chute,
D’offrir à chaque aurore un hymne de pigments,
Et de ne jamais fuir ce royaume muet.
Les saisons, complices, tissent leur toile fragile :
L’été dore ses toiles de lueurs égarées,
L’hiver y pleure en blanc les larmes de la terre,
Tandis que son pinceau danse avec les saisons.
Une nuit, cependant, près du ruisseau qui geint,
Il voit naître une forme entre les roseaux pâles —
Une femme de brume aux yeux d’étoiles mortes,
Dont les pas ne font pas frémir les feuilles mortes.
« Es-tu l’esprit des lieux ou mon propre délire ? »
Demande-t-il, sa voix mêlée au clair de lune.
Elle répond, sourire éteint : « Je suis celle
Qui attend depuis mille automnes ton pinceau. »
Dès lors, ils conversent en silences habiles,
Lui peignant sa tristesse en ciels tourmentés,
Elle, dévidant pour lui des contes sans fin,
Tissés de vent, de neige et de soleils défunts.
Mais un matin de gel, où la forêt retient
Son souffle, l’homme sent une fièvre étrangère :
Le monde au-delà des arbres le réclame
Par des cris de cannons, de rires et de sang.
« Reste ! » supplie la dame aux bras de brouillard fin,
« Ton serment est plus vieux que les murs de ton cœur. »
Mais lui, hanté soudain par le désir morose
D’être vu, d’être aimé, maudit son isolement.
Il part, laissant derrière un chevalet qui pleure,
Des toiles où la brume erre, veuve de sens,
Et le chêne qui serre en ses racines noires
Le fragment d’une âme trop lourde pour partir.
La ville l’accueillit en roi déguenillé ;
Ses tableaux, jugés fous, finissent en haillons.
Les hommes, affamés de lumière vulgaire,
Ricanent devant l’ombre où se cache la vérité.
Des années ont passé, lentes comme un suaire ;
Un soir d’automne, il revient, courbé sous les remords.
La forêt n’est plus qu’un squelette de branches,
Le chêne, un spectre amer couvert de lichens froids.
« Où es-tu ? » crie-t-il, voix ravagée de pluie,
Mais seule une chouette répond dans la nuit.
Ses mains, jadis divines, creusent la terre dure
Jusqu’à trouver, intact, son vieux serment gravé.
Alors, sous la lune pâle, il comprend l’offense :
En rompant l’alliance, il a tué son art.
Les couleurs, désertant ses doigts condamnés,
Se dissolvent en cris dans l’éther sans pitié.
Il se couche, dernier pétale au pied du chêne,
Tandis que la brume, enfin, vient l’envelopper.
« Je t’attendais », murmure une voix familière,
Et la forêt entière exhale un long soupir.
Au matin, on ne trouve qu’une palette vide,
Un manteau déchiré mangé par les ronces,
Et sur l’écorce ancienne, un mot tracé de givre :
« Seul l’écho de mon âme habite désormais. »
Depuis, quand le vent triste erre entre les bouleaux,
On dit qu’un pinceau fantôme achève une toile,
Où deux figures dansent, faites de brume et d’ombre,
Unis pour l’éternité dans le deuil de l’adieu.
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