Le poème ‘Solo’ de Xavier Grall, publié dans son recueil en 1981, nous plonge dans une exploration émotive des racines bretonnes de l’auteur. À travers des images fortes et des réflexions sur sa vie, Grall évoque la beauté et la douleur d’un pays qui lui est cher. Ce chef-d’œuvre témoigne de l’importance de la mémoire et de l’appartenance, tout en abordant des thèmes universels tels que l’amour, la mort et la quête de paix intérieure.
Seigneur me voici c’est moi je viens de petite Bretagne mon havresac est lourd de rimes de chagrins et de larmes j’ai marché Jusqu’à votre grand pays ce fut ma foi un long voyage trouvère j’ai marché par les villes et les bourgades François Villon dormait dans une auberge à Montfaucon dans les Ardennes des corbeaux et des hêtres Rimbaud interpellait les écluses les canaux et les fleuves Verlaine pleurait comme une veuve dans un bistrot de Lorraine Seigneur me voici c’est moi de Bretagne suis ma maison est à Botzulan mes enfants mon épouse y résident mon chien mes deux cyprès y ont demeurance m’accorderez-vous leur recouvrance ? Seigneur mettez vos doigts dans mes poumons pourris j’ai froid je suis exténué O mon corps blanc tout ex-voté j’ai marché les grands chemins chantaient dans les chapelles les saints dansaient dans les prairies parmi les chênes erraient les calvaires O les pardons populaires O ma patrie j’ai marché j’ai marché sur les terres bleues et pèlerines j’ai croisé les albatros et les grives mais je ne saurais dire jusqu’aux cieux l’exaltation des oiseaux tant mes mots dérivent et tant je suis malheureux Seigneur me voici c’est moi je viens à vous malade et nu j’ai fermé tout livre et tout poème afin que ne surgisse de mon esprit que cela seulement qui est ma pensée Humble et sans apprêt ainsi que la source primitive avant l’abondance des pluies et le luxe des fleurs Seigneur me voici devant votre face chanteur des manoirs et des haies que vous apporterai-je dans mes mains lasses sinon les traces et les allées l’âtre féal et le bruit des marées les temps ont passé comme l’onde sous le saule et je ne sais plus l’âge ni l’usage du corps je ne sais plus que le dit et la complainte telle la poésie mon âme serait-elle patiente au bout des galantes années ? Seigneur me voici c’est moi de votre terre j’ai tout aimé les mers et les saisons et les hommes étranges meilleurs que leurs idées et comme la haine est difficile les amants marchent dans la ville souvenez-vous de la beauté humaine dans les siècles et les cités mais comme la peine est prochaine ! Seigneur me voici c’est moi j’arrive de lointaine Bretagne O ma barque belle parmi les bleuets et les dauphins les brumes y sont plus roses que les toits de l’Espagne je viens d’un pays de marins les rêves sur les vagues sont de jeunes rameurs qui vont aux îles bienheureuses de la grande mer du Nord Je viens d’un pays musicien liesses colères et remords amènent les vents hurleurs sur le clavier des ports je viens d’un pays chrétien ma Galilée des lacs et des ajoncs enchante les tourterelles dans les vallons d’avril me voici Seigneur devant votre face sainte et adorable mendiant un coin de paradis parmi les poètes de votre extrace si maigre si nu je prendrai si peu de place que cette grâce je vous supplie de l’accorder au pauvre hère que je suis ayez pitié Seigneur des bardes et des bohémiennes qui ont perdu leur vie sur le chemin des auberges nulle orgue grégorienne n’a salué leur trépas pour ceux qui meurent dans les fossés une feuille d’herbe dans la bouche le cœur troué d’une vielle peine de lourdes larmes dans le paletot et dans les veines des lais et des rimes Seigneur ayez pitié ! La mort vient tôt frapper à notre porte les vents d’hiver emportent les poitrinaires et pour flétrir les pâles primevères il suffit que l’ondée se conforte d’un peu de givre et de Galerne la vie s’en va la vie s’en vient ma belle passante mon étrangère la vie s’en vient la vie s’en va lonla lonlaine et caetera S SOL L O ma rose des vents mon signe de croix S O ILE O Mon ex-voto dans la crypte marine chantez saxos S O L FOL stèle et fanal flamme amer du litttoral signe vertical de la raison face aux fatales démences de la mer et des lames J’aurais aimé chanter le triomphe des marées à la corne des caps et la douceur des plages dans les criques pélagiennes un orchestre de pianistes et de harpeurs eût repris le thème de l’antienne car je portais dans mon sang mystique des hymnes marins et des fureur liturgiques j’aurais aimé chanter les varechs verts les germons bleus les daurades d’or les couleurs et les chaos par la harpe et le saxo mon Dieu je vous adore Orgues de Benjamin Britten Cuivres de Ludwig Van Beethoven Les symphonies fusent dans les rocs d’Ouessant les tintamarres furieux fracassent les brisants qui dira les sonorités multicolores dans la gorge des rias les corps morts dansent les cormorans fustigent les amarres les coques des naufrages cognent dans les baies des oiseaux hurleurs descendent dans mes veines mon âme est cette porte battante ouverte sur la mer j’attends la fuite des vents à la renverse paix sur les noyés et les goémons paix sur les îles et les quais mon cœur tranquille caboulot à la bonne brise au-dessus des limons affiche son enseigne « Au repos du marin » Solo Solo de mes noyades solo de mes sanglots j’agite des violons brisé sur mes amours mortes mes barques chavirées accrochent des grelots aux chagrins sourds qui lentement m’emportent Solo Solo d’oraisons ferventes il m’arrive de prier dans les églises défuntes Notre-Dame des poètes mère des Atlantes pitié pour ce voilier perdu au large des pâles limbes Solo Solo de mes années passantes haleurs et musiciens désertent les bordées mon âme est cette Marie-Galante que défoncent les vins et les rhums boucanés Solo Solo de mes pensées dolentes musiques enfuies motets anciens tout périt dans les marées violentes l’Océan tracasse des pianos à la gueule des chiens Seigneur me voici c’est moi je viens à vous issu d’un pays de mer les tempêtes ont réjoui mon amère jeunesse la liesse des alizés roulait dans les collèges les goélands croisaient dans mes classes latines des Maris Stella à matines éclataient dans les nefs les noroîts jouaient de l’harmonium délirium du graduel cantique des grèves ivres O les navires et les chapelles Etoile de la mer Qu’ai-je fait de ma chère jeunesse ? Seigneur me voici c’est moi dans les bonnes auberges j’ai traîné ma détresse les bouteilles entonnaient des pavanes dans les verres je buvais des rengaines les bars roulaient comme des rivières j’ai prié comme jamais dans les ivresses faisant des femmes des suzeraines qu’elles fussent allemandes bretonnes françaises leur beauté glorifiée par l’absinthe dissolvait la bassesse c’était ma tournée aux tables saintes Seigneur les bars chantent toujours dans les villes a santé trop vile les déserte Je ne vois plus les Belles qu’au fond de ma mémoire Brestoises Rhénanes ou Parisiennes elles ont quitté mon domaine fermons les persiennes sur mes cinquante et une années j’écrase les feuilles mortes dans les allées les temps ronge les vies et les grimoires adieu les Reines les bars et camarades je tiens comme un pourboire votre souvenir adieu mes fêtes et mes délires adieu mes désirades Seigneur Dieu A mes frères et amis Aux femmes que j’ai aimées A tous ceux que mon cœur à croisés Avant que d’entrer dans les ténèbres Transmettez je vous prie mon espérance testamentaire Nul chant nul solo Nulle symphonie nul concerto Qui porte nostalgie d’amour Et soif et faim de tendresse Ne sera perdu dans la détresse de lamer Voilà et puis encore ceci Par la dernière larme Par l’ultime halètement Par le dernier frémissement Par le moineau qui s’envole Par le geai sur la branche Par la dernière chanson Par la joie dans la grange Par le vent qui se lève Par le matin qui vient Tout simplement Je vous rends grâce D’avoir été dans le bondissement incroyable De votre création Et misérable Oui Tout simplement Un être humain Parmi les milliards et les milliards De vos créatures A présent que les feuilles et les mains De douce Nature Me closent les yeux ! Mais Seigneur Dieu Comme la vie était jolie En ma Bretagne bleue ! » Extrait de: 1981, Solo et Autres Poèmes, (Editions Calligrammes)
En conclusion, ‘Solo’ nous invite à réfléchir sur notre propre parcours et nos souvenirs, tout en célébrant la richesse de nos identités. N’hésitez pas à explorer davantage les œuvres de Xavier Grall pour découvrir la profondeur de son art.