Les Cendres du Silence
Un enfant sans berceau, sans nom, sans lendemain,
Traverse les débris d’un monde en chrysalide,
Ses pas foulant l’écho des douleurs clandestines.
Le château, spectre altier couronné de ronces,
Dresse ses murs lépreux sous un ciel de suie,
Comme un livre effacé dont les pages immondes
Gardent l’encre des deuils et des amours enfuies.
Il avance, guidé par les murmures pâles
Qui dansent en spirale aux creux des corridors,
Souffles évanouis, éclats de voix spectrales
Lui contant par fragments un destin sans accord.
Les tapisseries, lourdes de siècles morts,
Exhalent en frissons les rires d’autrefois :
Ombres de cavaliers, de dames aux bras forts,
Noces d’or englouties sous le linceul des bois.
Dans la salle aux miroirs, brisés mais clairvoyants,
Son reflet se dédouble en cent éclats tremblants.
« Qui donc es-tu ? » demande une bouche de verre,
Et l’écho, sans répondre, emporte le mystère.
Un berceau de velours, rongé par les vers noirs,
Gît au cœur de la chambre où pleurent les rideaux.
L’enfant y voit danser, sous un rayonnement froid,
La silhouette absente d’un lointain berceur d’eaux.
Soudain, au fond d’un coffre aux ferrures rouillées,
Un médaillon terni lui tend son secret nu :
Deux visages sans traits sous la poussière en pleurs,
Un couple enlacé dont les noms se sont tus.
« Regarde, dit le vent, ce qui fut ton essence :
Cendres d’un foyer mort avant le premier cri.
Le château est ton âme, et chaque pierre absente
Un lambeau de mémoire arraché à ton lit. »
Il gravit l’escalier qui serpente et s’effrite,
Cherchant au firmament des clés dans les étoiles,
Mais les astres, muets, se voilent de comètes,
Tandis qu’au loin rugit un fleuve sans étole.
Dans le grenier du temps, où moisissent les heures,
Une boîte de fer renferme un chant perdu :
Lettres d’un père en guerre, ultimes ardeurs,
Et larmes d’une mère en l’attente éperdue.
« Ils t’aimèrent, dit l’ombre, avant que ne s’effondre
Le pont des espérances sous les canons hurlants.
Tu fus l’enfant promis aux lendemains féconds,
Mais la mort fit de toi l’héritier du néant. »
L’enfant serre les mots contre sa poitrine creuse,
Si fort qu’ils transpercent sa chair comme un couteau.
L’encre coule en son sang, brûlante et généreuse,
Mais chaque souvenir s’échappe en noir fuseau.
La tourmente grandit, le château se délite,
Les murs pleurent la chaux de leurs anciens fastes.
« Cours ! » lui souffle une voix, mais ses jambes sont lentes,
Car l’oubli, lent poison, déjà scelle ses gestes.
Il atteint la fenêtre où se meurt la lumière,
Et voit dans le jardin, sous les ifs décharnés,
Deux tombes sans fleurs, sans croix, sans prières,
Où dorment à jamais ceux qui l’avaient donné.
Alors, comme un éclat de lune sur la mare,
Une vérité froide inonde ses yeux las :
Chercher son passé, c’est boire le philtre rare
Qui transforme en brouillard les contours des combats.
Chaque pas en arrière efface l’existence,
Chaque mot ressuscité dévore l’avenir.
Le château n’est plus rien qu’une conscience dense
Où se meurt le présent pour laisser place au désir.
Il s’allonge au milieu des ruines dansantes,
Laissant monter vers lui les cendres du plafond.
« Dors, lui chantent les murs, dans nos bras bienveillants,
L’oubli est un manteau plus doux que les tourments. »
Ses paupières, plus lourdes que les portes du monde,
S’abaissent sur un ciel de souvenirs éteints.
Et le dernier soupir de sa bouche immonde
Emporte avec le vent ce qui fut son étreinte.
Au matin, le château n’est qu’un songe de pierre,
Un amas de poussière où rôdent les corbeaux.
Seul le médaillon, miroir de nos misères,
Luit dans l’herbe, témoin silencieux et beau.
Et quelque part, au fond d’un temps qui se délave,
Un enfant sans visage erre en cherchant son nom,
Tandis que les échos d’une mémoire esclave
Murmurent : « Tout est vain, excepté l’abandon. »
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