Les Cendres du Temps
Un peintre sans couleurs erre en quête de splendeur,
Son âme est un palais hanté par les pâleurs,
Ses doigts, jadis divins, ont perdu leur ardeur.
Il chemine, guidé par les songes d’autrefois,
Vers un hameau perdu que le siècle ignora,
Où les murs lézardés gardent l’écho des voix
Qui murmurent encor des chants d’éternité.
Le vent joue une marche aux portes délabrées,
Les toits penchent leur front sous les astres anciens,
Et dans chaque pierre, une histoire sacrée
Dort comme un diamant sous les linceuls du rien.
Soudain, au détour d’une venelle en ruine,
Un enfant aux yeux d’or surgit, fantôme blond,
Ses pieds nus effleurant les pavés qui s’inclinent,
Son rire cristallin réveille le vieux mont.
« Étranger, dit l’enfant, que cherches-tu donc ici ?
Les couleurs de ton cœur se sont-elles fanées ?
Viens, suis-moi vers le puits où jadis, les auspices
Puisaient l’eau des secrets et des destinées. »
Le peintre, ému, contemple cette apparition
Dont la grâce fragile évoque un pastel mort,
Il suit ce guide étrange, ange ou vision,
Vers un jardin secret où s’entrelacent sorts.
Là, sous un cerisier aux branches décharnées,
Une fresque s’efface au flanc d’un mur croulant :
Des visages riants, des mains entrelacées,
Un bal d’ombres qui danse au son d’un temps volant.
« Regarde, souffle l’enfant d’une voix de brume,
C’était nous, autrefois, avant le grand départ.
La guerre a dévoré nos rires et nos coutumes,
Il ne reste que moi, dernier gardien de l’art.
Ma mère est cette tache où pleure l’indigo,
Mon père, ce trait noir qui mord l’horizon pâle.
Chaque nuit, je restaure avec mes doigts d’écho
Leurs sourires défunts sous la lune fatale. »
Le peintre, submergé par ce torrent de cendres,
Saisit ses pinceaux morts, ranime son brasier :
Il peint l’enfant debout au bord du monde en cendre,
Les joues teintées de fièvre et les yeux en prière.
Jusqu’à l’aube il travaille, insufflant sous ses traits
L’espoir vert des bourgeons, le sang des amandiers,
L’or des blés oubliés, le deuil des cyprès frais,
Et la pourpre du vent qui berce les sentiers.
Mais quand le jour se lève, implacable et stupide,
Le village n’est plus qu’un rêve dissipé :
Les murs sont retournés au néant du vide,
Le cerisier maudit gît, racines coupées.
Seul demeure, accroché à un buisson d’épines,
Le portrait de l’enfant, vibrant d’humanité,
Et dans un dernier souffle, une voix orpheline :
« Merci d’avoir fixé mes ombres en clarté. »
Le peintre, désormais hanté par ces décombres,
Porte en lui ce village où les morts dansent encore,
Et chaque toile naît des larmes de ses ombres,
Œuvres nées du chagrin, chefs-d’œuvre du décor.
Un soir, sous un ciel lourd de mémoire et de fièvres,
Il achève son ultime songe évanescent :
L’enfant, les bras tendus vers des parents de lièvres,
S’évapore en fumée au seuil de l’abscent.
Depuis, on dit qu’aux nuits de lune déchirée,
Un pinceau pleure encore dans le val solennel,
Cherchant à ressaisir cette amitié sacrée
Qui unit pour un temps l’artiste et l’éternel.
Ainsi va la douleur des âmes en quenouille,
Tissant avec des pleurs des robes de mirage :
Le beau n’est qu’un reflet, le souvenir, une rouille
Qui ronge lentement le métal de notre âge.
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