Tristes pensers, troupe infidèle,
Allez où l’ennui vous appelle,
Puisque je suis bien avec elle,
Vous êtes mal avecque moi.
Ce n’est plus cette âme farouche
Qui n’avait point de sentiment.
Nous soupirons également
Et nous baisons si doucement
Que l’eau nous vient en la bouche.
Nos cœurs, qui goûtent à loisir
Cette innocente jouissance,
Font une éternelle alliance,
Et s’ils ont quelque défaillance,
Ce n’est que de trop de plaisir
Certes ma gloire peu commune
Me fait oublier le passé,
J’embrasse ou je suis embrassé,
Et je ne suis point menacé
Du changement de ma fortune.
Si voulant mes feux apaiser
Dans ces délices je me pâme,
Phyllis d’un souffle me renflamme,
Et me fait connaître que l’âme
Est souvent fille d’un baiser.
Ainsi d’une ardeur sans égale,
Une nymphe embrassait
Daphnis ;
Ainsi de baisers infinis,
Vénus contentait
Adonis,
Et l’Aurore obligeait
Céphale.
Ni la manne qui vient des deux,
Ni tout ce que
Flore possède,
Ni le nectar de
Ganymède
N’a point de douceur qui ne cède
A ce baiser délicieux.
Il est à mon âme embrasée
Ce qu’est le remède aux douleurs,
Ce que zéphyre est aux chaleurs,
Ce qu’aux abeilles sont les fleurs,
Et ce qu’aux fleurs est la rosée.