Le Dernier Chant de l’Éther
Un peintre au regard las, égaré dans ses vœux,
Cherchait l’éclat perdu des rêves à saisir,
L’écho des visions que le réel délie.
Son pinceau, sec et froid, pleurait sur les toiles mortes,
Et l’âme en frémissant appelait le chaos,
Quand soudain, dans la brume où les ombres se portent,
Une forme s’éveilla, spectre aux pas inégaux.
Elle était l’aube pâle aux lèvres de narcisse,
Ses cheveux, un ruisseau de lune et de trépas,
Et ses yeux, deux lacs noirs où nageait le supplice,
Miroirs des anciens jours que le temps ne lit pas.
« Ô toi qui viens ici chercher ce qui se voile,
Dit-elle d’une voix de feuilles et de vent,
Prends garde à la clarté qui naît de ton étoile :
L’inspiration est un serment de sang. »
Le peintre, fasciné par ce chant sans racine,
Tendit sa main tremblante à l’être diaphane :
« Qui donc es-tu, fantôme errant sur la colline,
Ombre ou lueur d’un ciel que la nuit condamne ?
— Je fus celle qui danse au bord des souvenirs,
L’amante du néant, la reine des mensonges,
Celle que les vivants nomment “désir”,
Et dont les pleurs ont tissé les brouillards des songes.
Viens, suis mes pas légers à travers les halliers,
Je t’offrirai les tons que la terre ignore,
Les pourpres de l’angoisse, les verts du denier,
Et l’or pâle des nuits où l’esprit se dévore. »
Il la suivit, captif de sa grâce funèbre,
À travers les sapins gémissant comme un chœur,
Vers un antre où la mousse étouffait chaque zèbre
De lumière filtrant des fentes du cœur.
Là, sous un dôme d’if que les étoiles percent,
Elle posa son doigt sur ses paupières closes :
« Vois ! » Et soudain jaillit, en volutes perverses,
Un monde où se mêlaient les lys et les roses noires.
Les arbres se tordaient en arabesques folles,
Les ruisseaux murmuraient des mots inachevés,
Et les pierres chantaient des complaintes espagnoles
Qu’un souffle de clairon venait achever.
« Peins ! » cria-t-elle, « saisis ces formes éphémères,
Ces couleurs que la mort elle-même enviera,
Et ton nom, à jamais, hantera les chimères
Que l’aube fait naître et que le soir pleura. »
Fiévreux, il s’empara des poudres de l’abîme,
Teignit son linge blanc aux sueurs du chaos,
Et sous ses doigts dansaient, telles un crime,
Les traits d’une beauté que nul ne connaît.
Les jours brûlaient ainsi, forgés d’ambre et de cendre,
Lui, captif du mirage et de son propre leurre,
Elle, offrant chaque nuit un pigment à suspendre
Au ciel de la toile où son âme demeure.
Mais un matin, tandis que l’aurore se voile,
Il vit trembler ses mains, son sang se glaça d’effroi :
L’apparition pâlissait, perdait son voile,
Et ses contours fondaient comme cire au soleil.
« Qu’as-tu fait ? » gémit-elle, « ô cruel, ô profane !
Tu as volé l’éther qui nourrissait mes veines,
Chaque coup de pinceau fut une épée au flanc,
Chaque couleur un lien qui rompt mes chaînes.
Je ne suis plus qu’un souffle, une ombre qui s’évade,
L’ultime écho d’un rêve que tu as brisé…
Adieu. Puisses-tu vivre avec le spectre du fade,
Toi qui as préféré l’art à la vérité. »
Elle se dissipa en un sanglot de brume,
Tandis que s’écroulaient les murs de l’antre obscur,
Et le peintre, debout dans les débris du rhume,
Tenait contre son cœur un tableau d’azur.
Mais l’œuvre, peu à peu, perdait ses teintes vives,
Les jaunes se changeaient en cendre sous ses yeux,
Les bleus fuyaient en cris, les rouges en convives
De néant dévorant jusqu’au dernier adieu.
Il courut, éperdu, vers la forêt muette,
Appelant en vain celle qui n’était plus rien,
Mais seuls les chênes vieux, gardiens de la retraite,
Lui rendaient en échos le vide du destin.
Désormais, chaque nuit, il erre parmi les branches,
Peignant avec ses ongles les écorces des bois,
Cherchant en vain les tons des larmes blanches
Qui coulent des regards que l’on trahit parfois.
Et parfois, dit-on, lorsque la lune est tendre,
On entend une voix pleurer dans les fourrés :
« J’ai choisi les couleurs au prix de tout comprendre,
Et perdu la clarté qui ne se peint pas. »
Les voyageurs, croyant à quelque folle plainte,
Hâtent le pas, tandis que, sous les noisetiers,
Un vieux chevalet pourrit, rongé par l’absinthe,
Portant l’ombre d’un amour autrefois entier.
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