Le Serment Évanoui
Laisse ton cœur glisser vers l’île aux rocs altiers
Où gît un voyageur épris de l’océan,
Dont l’âme en pleurs se noie au chant des goélands.
I
Il vint un soir d’automne où les cieux basculèrent,
Quand les vagues, telles des loups aux crocs argentés,
Rongeaient le flanc des nefs que la tempête alterne.
Son nom ? Un souffle errant que les brumes ont porté.
Ses yeux, deux lacs brûlants où nageait le mystère,
Cherchaient sur l’horizon un rivage promis :
« Ô terre ! Ô sanctuaire où renaît la lumière,
Je t’offrirai mon sang pour apaiser tes cris ! »
II
L’île surgit enfin, spectre aux hanches de braise,
Sous un dais de nuées que déchiraient les monts.
Il crut voir dans les pins une robe indécise,
Une voix de cristal qui dansait sur les joncs.
« Voyageur au front pâle, as-tu donc traversé
L’enfer des flots mouvants pour mourir sur ma grève ?
— Non, reine de l’écume, ô beauté courroucée,
Je viens chercher l’amour qui manque à mon cœur triste. »
III
Elle se nommait Éliane aux lèvres d’ambre,
Fille des vents salés et des matins vermeils.
Ses cheveux déroulaient des soleils de septembre,
Ses pas semaient la vie aux creux des vieux récifs.
Mais l’île, en secret, gardait un mal étrange :
Chaque pleine lune, un jeune cœur s’évaporait.
Les anciens murmuraient, penchés sur les sortilèges,
« Il faut à l’océan un sang pur qui le paie. »
IV
Or un soir, le conseil aux voix de pierre froide
Désigna d’un doigt sourd la vierge aux yeux d’azur :
« Puisque nul étranger n’a percé notre code,
C’est ton tour, Éliane, d’affronter le mur noir. »
Le voyageur, tapi dans l’ombre des figuiers,
Entendit l’arrêt dur tomber comme une hache.
Il bondit, furieux, brandissant son poignard :
« Prenez mon corps en otage, et laissez-lui sa grâce ! »
V
La foule se figea, statues de marbre ivre,
Tandis qu’Éliane, pâle effroi dans la nuit claire,
Criait : « Fol inconnu, fuis cet amer délire !
Ma destinée est scellée aux entrailles des mers. »
Mais lui, les bras tendus vers les astres funèbres :
« Je jure par les dieux que mon sang coulera
Avant qu’un seul baiser n’effleure ta paupière.
Vivez, et souvenez-vous de l’amant éperdu ! »
VI
L’aube naissait à peine, auréole sanglante,
Quand ils le traînèrent vers le gouffre béant.
Ses liens chantaient faux sur sa peau pantelante,
Son soubre vestige était calme, cependant.
« Éliane, écoutez : le vent porte mon âme.
Quand la vague viendra me voler mon dernier souffle,
Sachez qu’un feu plus pur que les feux de ces côtes
Brûlera dans vos nuits pour illuminer vos songes. »
VII
Un cri déchira l’air – non pas le sien, non jamais –
Mais le hurlement sourd des abîmes repus.
La mer se referma sur l’offrande parfaite,
Tandis qu’au loin, perchée au nid des alcyons,
Une femme en deuil, robe aux plis de tempête,
Serrait contre son sein une épave de bois :
« Pourquoi as-tu brisé le destin qui t’enchante ?
Mon nom était déjà gravé dans les étoiles… »
VIII
Depuis ce jour maudit, l’île dort sous un voile.
Ses rochers ont pris l’aspect de pleureurs figés.
On dit qu’aux soirs d’orage, quand la houle se gèle,
Un couple fantomatique erre sur le sentier :
Lui, portant au côté la blessure mortelle,
Elle, effeuillant des lys sur les tombes des flots.
Et toujours, toujours, monte des grottes profondes
Un duo déchirant plus triste que les morts.
Ô vous qui passez là, n’approchez pas des grèves !
La mer garde en son sein un amour trop humain.
Chaque vague qui meurt sur le sable en délire
Répète éternellement : « J’aimais… J’aimais en vain. »
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