De viatiques qui lui avaient semblé hors d’usage,
Dans une pièce occupée presque entièrement par un piano quart de
queue,
Alors qu’au milieu de la place le lampadaire grésillait,
Petite place allemande et orientale ombragée par un pin.
Mais surtout sur le banc à
Greenwich,
Le ciel immense, le soir qui tombait
Sur la ligne des peupliers bordant la pelouse
Où des enfants jouaient au foot, des gens promenaient leur chien,
Quelques vieux prenaient l’air avant de retrouver l’atmosphère
confinée.
L’odeur médicamenteuse de leur chambre.
Un bimoteur amorçait son atterrissage vers un club voisin,
Mim lui avait dit il faut pouvoir parler de soi
Ou bien on ne parle finalement que de soi,
Le ci-devant briseur de cœur de
Moscou à
Czernowitz,
Le guitariste aux boucles claires et à la moue enfantine, À présent un petit homme approchant la cinquantaine,
Courbé, au sourire timide d’émigré,
Avec son pull à grosses mailles, ses bottines bon marché.
Le fatalisme amer de celui qui a connu l’espoir,
L’a vu grandir et s’envoler
Le laissant seul avec son présent hasardeux sinon pitoyable,
Le deux-pièces dans une banlieue ouvrière, la course après le cachet,
Les économies de bout de chandelle,
Le fils demeuré au pays, la fille partie,
La femme durcie par sa vie d’épouse délaissée, trompée.
Manifestant par chaque geste, chaque parole,
Qu’il est trop tard pour tout recommencer,
Qui se contente de dériver sans opposer la moindre résistance,
Avec une patience infinie,
Car qu’a-t-elle à attendre qu’elle n’ait perdu,
Même
Grad, arpentant l’appartement de long en large,
Probablement déjà envahi par les métastases,
Avait montré des réticences,
On ne cherche pas impunément à échapper à son
Tout-Puissant,
Serait-ce en embarquant pour les lointains,
En s’étendant sur son bat-flanc et en se laissant prendre par le
sommeil.
Lui s’était brûlé les ailes –
Personne d’autre ici, entre l’hôpital
Saint-Louis et l’Institut
Curie
N’avait eu le cran de le faire –
Et nul ne serait sauvé à moins de s’engager sur le même chemin, Âpre, dur.