Les Larmes d’Éternité
Se dresse un temple pâle, fantôme de granit,
Où les siècles, muets, ont gravé leur grimoire,
Et l’air, lourd de secrets, porte l’odeur du myrte.
Là, sous les astres froids qu’un destin noir déchire,
Une femme se glisse, ombre au manteau de suie,
Ses pas creusent la nuit comme un pleur sur la cire,
Et son souffle, tremblant, effleure les statues.
Ses yeux, deux lacs brûlés par les cendres du rêve,
Cherchent dans l’infini le nom d’un amour perdu :
« Ô murs, avez-vous vu passer l’âme que j’élève
Au-delà des tourments dont mon cœur est bardé ? »
Les colonnes, alors, gémissent une plainte,
Et l’écho, prolongeant cette rumeur d’absence,
Murmure le passé d’une douleur empreinte
Aux marbres érodés par l’eau de la souffrance.
Elle avance. Le temps, suspendu à sa robe,
Déroule un fil d’argent sur les dalles de sel,
Tandis qu’un vent ancien, sorti de quelque grotte,
Lui conte à demi-mot un récit solennel :
« Ici, jadis, un roi, ivre de jours funèbres,
Scella sous ces arceaux un serment insensé :
Quiconque aimera trop devra, pour l’autre, taire
Sa vie, et l’offrir en holocauste glacé. »
La femme, à ces mots, sent frémir ses artères,
Car elle a reconnu l’antique malédiction
Qui lia son amour à la chair de la terre,
Et fit de son bonheur un fragile glaçon.
« Est-il vrai, soupira-t-elle, ô vents, ô voix célestes,
Que je dois, pour sauver celui que j’ai choisi,
Perdre jusqu’à mon nom, et que mes gestes restent
Enfermés à jamais dans ce tombeau transi ? »
Un éclair déchira la nue, illuminant
Un autel où brillait un poignard de lumière,
Tandis qu’une ombre immense, au fond du sanctuaire,
Déployait des ailes de ténèbres et de temps.
« Approche, cria-t-elle, ô toi que l’amour mine,
Et vois le prix sanglant qu’exige ta ferveur :
Ton sang doit se mêler aux larmes de la mine,
Et ton dernier regard sera ta seule faveur. »
La femme, alors, gravit les degrés sépulcraux,
Ses mains touchant l’acier dont l’éclat la fascine,
Tandis qu’en elle monte, étrange et clandestin,
Un chant que les échos répètent en latin.
« Prends ce fer, dit l’ombre, et perce ta poitrine,
Afin que ton amant, libéré du trépas,
Renaisse au jour où l’aube est encore orpheline,
Et que son cœur batte au rythme de tes pas. »
Un instant, elle crut entendre une voix tendre
Qui, jadis, l’appelait au jardin des amants,
Où les roses mêlaient leurs parfums à la cendre
Des étoiles tombées en pluie de diamants.
« Meurs donc, cria le vent, que ta fin soit sublime ! »
Elle ferma les yeux, et dans un cri muet,
Plongea le feu du ciel dans sa chair unanime,
Tandis qu’un sang doré inondait le guéret.
Le temple tout entier vibra comme une lyre,
Les murs s’emplirent d’or, de larmes, de sanglots,
Et l’ombre, se dissolvant en un rire de cire,
Jeta son masque lourd devant les premiers mots
D’une aube incertaine, où l’amant, éveillé,
Chercha en vain la main qui l’avait arraché
Aux griffes de la nuit. Mais le temple veillait,
Gardien silencieux d’un amour empêché.
Depuis, quand vient le soir, une forme légère
Erre parmi les blocs de marbre et de regrets,
Effleurant les reliefs où sa douleur première
Est gravée en reflets de lune et de secrets.
Et l’on dit qu’en écoutant le vent nocturne,
On perçoit un soupir mêlé de souvenirs,
Portant l’écho lointain d’une offrande nocturne :
L’immortel chagrin des éternels désirs.
Ainsi finit l’histoire, en un lieu sans prière,
Où l’amour, plus fort que la mort et le temps,
Devint un monument que la douleur altière
Sculpte chaque nuit de ses doigts tremblants.
Et le temple, à jamais, garde dans ses entrailles
Le secret d’un cœur qui, pour ne pas haïr,
Offrit en silence un feuillet de ses entrailles,
Afin que l’autre puisse continuer de vivre.
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