L’Éternel Soupir des Sables
Une âme erre sans fin, spectre aux plis transparents,
Foulant l’éternité des dunes indolentes
Dont les crêtes se meurent en soupirs étouffants.
Nul vent ne trouble ici l’immobile souffrance,
Nul écho ne répond aux mots ensevelis ;
Seul le soleil cruel, dardant sa lance tranchante,
Grave au front du désert l’oubli des anciens litanies.
À marcher sans repos ce royaume de soif,
Elle traîne son deuil, ombre déracinée,
Cherchant en vain le nom que le néant déroba.
Ses pas creusent les monts de cendre éphémère,
Ses yeux boivent l’horizon toujours inachevé,
Et dans son sein glacé murmure un mystère :
Un serment délié qu’un autre cœur a rêvé.Un soir où l’astre rouge, éteignant sa paupière,
Teignait l’océan sec de larmes de rubis,
Elle vit se lever une forme légère
Dont les contours dansaient avec les nuits pâlies.
C’était un esprit frêle, aux cheveux de poussière,
Dont les mains transparentes effleuraient les débris
D’une cité perdue où jadis, en prière,
Deux regards s’étaient tus devant le même interdit.
« Ô voyageuse en peine aux semelles d’étoiles,
Approche ! Entends l’adieu que les siècles m’ont donné.
Je fus gardien des murs où dorment les entailles
D’un amour plus ancien que le destin fané. »
La voix tremblait, pareille à un cristal qui vibre,
Tandis que sous leurs pieds frissonnaient les granits :
« Ici vécut un roi dont le cœur, libre et libre,
Battit pour une esclave aux liens d’or vernis.
Mais les lois du désert, plus dures que ses pierres,
Interdisaient aux forts de pencher vers l’argile.
Il cacha son brasier sous des lèvres guerrières,
Tandis qu’elle, écoutant les chants du vent stérile,
Croyait son sang trop vil pour la pourpre éternelle.
Ils passèrent vingt ans à sculpter leur tourment,
Échangeant chaque aurore un regard qui chancelle,
Chaque crépuscule un pas qui recule lentement.
Un jour qu’il partait chasser la hyène rousse,
Elle trouva, gravé dans l’ombre du palais,
Un mot que le destin avait tordu en douce:
« Je t’aime » écrit en traits de feu sur le marbre frais.
Mais l’heure était déjà cousue de funérailles :
Un serpent avait clos son vol de trahison.
Quand il revint, portant les roses des batailles,
Il ne trouva qu’un corps froid sous le dais d’oraison.
Fou, il brisa les lois, les dieux, les diadèmes,
Maudit le sable aveugle et les cieux indulgents,
Puis but dans un crâne obscur le vin des blasphèmes
Avant de s’ouvrir le flanc de son glaive ardent.
Depuis, leurs âmes sœurs, par le désert séparées,
Cherchent en tournoyant le fil qui les lia ;
L’une erre dans les vents, de regrets dévorée,
L’autre marche sans trêve où la mort la nia. »
L’âme écoutait, pareille aux rochers qui se fendent :
« Et toi, fantôme errant sur ces décombres vains,
Quel crime ou quel amour à ce lieu te suspend ? »
L’esprit pencha son front lourd de siècles divins :
« Je fus ce roi maudit dont l’aveu tardif saigne.
Mon secret est le sel qui ronge mes talons.
J’ai cru l’amour plus fort que les lois inhumaines…
Je n’avais pas compté les pas des chardons. »
Alors l’errante, avec un cri sourd, reconnut
La voix qui dans ses nuits sanglotait en écho.
Ses mains d’ombre cherchèrent un corps qui se tait,
Mais déjà l’esprit roi n’était plus que poussière.
Le vent railla leur vœu d’une haleine moqueuse,
Emportant vers le nord des lambeaux de soupirs,
Tandis qu’au sud croulait, lente et majestueuse,
La cité oubliée dans un bâillement noir.
Depuis ce jour sans nom, plus lourde est la tourmente
Qui pousse l’âme en deuil vers les mirages nus.
Elle sait maintenant que la flamme démente
Qui brûle ses regards ne s’éteindra jamais.
Parfois, quand midi tord les ombres spectrales,
Elle croit voir danser deux formes dans les airs,
Mais ce n’est qu’un reflet des anciennes annales
Que le désert recrache au rire de l’hiver.
Ainsi vont-ils, liés par le chagrin suprême,
L’un fantôme du vent, l’autre ombre du chagrin,
Portant comme un fardeau plus lourd que les systèmes
Ce mot « Je t’aime » écrit trop tard dans le sable fin.
Leurs gémissements font frémir les constellations,
Mais le sablier d’or des astres impassibles
Continue à verser son heureuse aberration
Sur l’éternel silence des amours impossibles.