Le Chevalier de l’Éternel Crépuscule
Son armure rougie par les larmes du temps,
Un chevalier errant dont l’âme était un rêve
Qui traînait sous la lune un sanglot étouffant.
Son destin l’appelait vers un hameau perdu,
Cerné de noirs sapins et de brumes antiques,
Où les pierres, dit-on, gardent les noms absents
Et où les souvenirs sont des feuilles mortiques.
Le vent y chuchotait des légendes de cendre,
Les toits inclinés pleuraient un passé lointain,
Les ruelles tremblaient sous un silence tendre
Comme un cœur qui se brise aux portes du matin.
Il entra, l’étranger, sous l’arche délabrée
Où veillaient des corbeaux aux cris mélancoliques,
Et son pas réveilla la douleur enterrée
Dans les puits sans écho, les caveaux nostalgiques.
Une enfant apparut, spectre aux cheveux d’argent,
Portant une lanterne où dansait une flamme
Qui dévorait l’espoir pour nourrir son tourment :
« Chercheur d’ombres, dit-elle, que veux-tu de mon âme ?
— Je cherche un lieu qui meurt, un deuil à apaiser,
Un fardeau que la terre a jeté sur mes bras.
Mon serment est plus lourd qu’un ciel de tempête,
Je suis l’homme des pleurs qu’on ne console pas. »
L’enfant rit, et son rire eut le son du verre
Qui se fend dans la nuit sous un doigt trop ardent :
« Suis-moi, chevalier triste, au champ du sanctuaire,
Où gît ce que tu perds en le reconnaissant. »
Ils marchèrent parmi les maisons sans visage,
Les murs lépreux, les seuils mangés par le lichen,
Et chaque fenêtre close était un miroir
Où se noyaient les traits de l’homme et du chien.
Au centre du village, un chêne millénaire
Étendait ses rameaux en un geste fatal,
Ses racines plongeaient dans une eau solitaire
Qui reflétait les morts comme un livre brutal.
« Ici, murmura l’ombre, est la source du piège :
L’arbre boit les regrets, les destins inachevés.
Pour sauver ce qui reste, il faut qu’un cœur s’y noie,
Que son nom soit rayé, que son sang soit lavé.
— Si telle est la rançon pour que ce lieu renaisse,
Prends mon corps, prends ma gloire, et mes lointains adieux.
Mais dis-moi, fantôme, avant que je m’efface,
Quel vent portera l’ombre de ce que je fus ?
— Aucun vent, chevalier. Le prix est l’oubli pur.
Tes exploits tomberont comme fruits sans mémoire,
Ta vie ne sera plus qu’un soupir obscur
Dans le chant des ruisseaux qui ne savent pas boire. »
Il ôta son heaume, laissant voir son visage
Où la jeunesse avait creusé un sillon lourd,
Puis il tendit sa lame à la nuit sans visage :
« Que le sacrifice soit ma dernière amour. »
L’enfant éteignit sa lanterne. L’air devint
Une étoffe de brume où glissaient des murmures.
Le chevalier sentit son esprit qui vacille,
Ses muscles se figer en d’étranges sculptures.
Le chêne ouvrit son bois comme une bouche obscure
Et l’engloutit lentement, bras tendus vers les cieux,
Tandis que le village, tel un corps qui respire,
Vibrait d’un souffle neuf sous les regards des dieux.
Au matin, les murs gris prirent des teintes d’ambre,
Les toits retrouvèrent leur danse avec le vent,
Les puits murmurèrent des chansons de septembre,
Et les morts oubliés s’envolèrent vivants.
Mais nul ne sut jamais, dans les ans qui suivirent,
Quel héros avait fait reverdir les chemins.
Seul un lys blanc naquit où l’homme avait péri,
Porteur d’un pollen d’or qui ne sert plus à rien.
Et parfois, quand la lune argente les feuillages,
On entend une épée qui sanglote dans l’eau,
Un cheval sans cavalier errer sur les plages,
Et le vent répéter un nom qu’il ne sait pas.
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