Le Sanctuaire des Ombres Évanouies
Ses pas alourdis par les neiges de l’ennui.
Le front ceint de brumes, les yeux creusés d’absence,
Il cherchait un refuge au delà du silence.
La guerre avait sculpté dans sa chair un désert
Où germaient en secret les graines de l’hiver.
Son cœur, lourd de clairons éteints et de blessures,
Battait au rythme lent des mauvaises augures.
Un soir, il aperçut, drapé dans les nuées,
Un temple oublié dont les pierres ruinées
S’élevaient telles des mains vers le ciel nocturne,
Comme pour implorer une clémence taciturne.
Les colonnes, pareilles à des spectres de marbre,
Portaient le deuil des dieux effacés par les arbres.
Les fresques, écaillées de siècles et de mousses,
Murmuraient en écho des légendes plus douces.
Il entra, respirant l’encens du temps passé,
Et crut voir danser l’ombre d’un souvenir glacé :
Un enfant aux cheveux d’avoine et de lumière
Courait, égrenant des rires en bruyère.
« Qui donc es-tu ? » demanda sa voix en éclats,
Mais l’écho répondit par un soupir de platras.
Soudain, une lueur trembla sur les parois,
Dessinant un chemin semé de vieux effrois.
Au fond du sanctuaire, une porte de brume
Ouvrait sur un jardin où la nuit se parfume
De lys noirs inclinés sur un étang dormant
Qui miroitait des cieux absents éperdument.
Là, une femme attendait, voilée de mystère,
Ses doigts effleuraient un collier de cratère.
« Tu as franchi les cercles du remords figé,
Soldat, viens boire l’oubli que j’ai longtemps forgé. »
Sa voix était un chant de sources et de fièvres,
Un mélange de cendre et de douces lèvres.
Il but à la coupe aux reflets de mirage,
Et sentit s’effilocher les fils du carnage.
Les tranchées s’envolèrent en cendres légères,
Les cris se dissolvant en vapeurs passagères.
Il revit la maison où flottait, tendre et pâle,
La robe de celle qui l’attendit dans sa valse.
« Emmène-moi », pria-t-il d’un souffle brisé,
Mais la Dame étendit son voile nuancé :
« Ce jardin n’est qu’un leurre, une pause éphémère,
La vérité est au-delà de la frontière. »
Elle désigna un pont de lianes et de lunes
Qui reliait deux mondes sous les mêmes dunes.
« Passe, et tu connaîtras l’ultime rémission,
Mais chaque pas ici est une perdition. »
Il s’engagea, troublé par les chuchotis
Des statues pleurant des larmes de jaspe gris.
Les étoiles filantes, complices du mensonge,
Tissaient des chemins où le destin se prolonge.
Arrivé sur l’autre rive, il vit se déployer
Une citadelle aux murs d’ambre et de foyer.
Des voix familières l’appelaient en cadence,
Portées par un vent chargé de reminiscence.
« Entre, tu retrouveras tout ce que tu pleuras »,
Disait une clameur venue des nappes dorées.
Mais au seuil, il sentit une morsure étrange :
L’illusion parfaite est le plus cruel ange.
Les portes se fermèrent dans un cri d’airain,
Et les murs transparents révélèrent soudain
L’envers du décor : des squelettes de rêves,
Prisonniers de miroirs qui dévorent les sèves.
La Dame apparut alors, son voile déchiré,
« Tu as choisi l’asile que ton cœur a pleuré,
Mais nul ne peut fuir la sentence de vivre :
Le songe n’est qu’un leurre où l’âme se délivre. »
Le soldat voulut fuir, mais le sol se dérobe,
Entraînant ses espoirs dans un gouffre de globe.
Il tomba, écorché par les éclats de virtuel,
Et atterrit en sang devant l’autel cruel.
Le temple s’écroulait en poussière d’étoiles,
Les colonnes croulant en funèbres entailles.
La Dame n’était plus qu’un souffle dans la nuit,
Emportant avec elle l’antique paraduit.
Il comprit alors, dans un sanglot de pierre,
Que le vrai refuge est l’acceptation du frère,
Que ni les temples saints ni les rêves menteurs
Ne lavent les plaies ouvertes des menteurs.
Le jour se leva, froid, sur les ruines calmes,
Effaçant les vestiges de ce jeu des psalmes.
On trouva son corps, fragile oiseau sans plumage,
Les yeux grands ouverts sur l’éternel paysage.
Et depuis, les voyageurs égarés de fortune
Entendent parfois gronder une plainte nocturne :
Celle d’un homme qui, entre rêve et douleur,
Chercha l’absolution et trouva la pâleur.
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