Les Larmes Cachées de l’Aurore Boréale
Gravisait les sommets où le temps se délivre,
Portant dans ses pas lourds le poids d’un nom perdu,
Tandis que sous la neige, un secret étouffé
Gardait les souvenirs d’un amour condamné
À frémir sans éclore au vent des destinées.
La montagne, éternelle en sa robe argentée,
Déployait ses ravins comme un cœur déchiré,
Où chaque rafale était un sanglot lyrique
Glissant sur les rochers en complainte mystique.
L’orphelin, nommé Élias par les étoiles,
Cherchait entre les pics la clarté d’un visage
Dont le rêve infantile avait bâti l’image :
Une mère enveloppée en un linceul de voiles,
Un rire évaporé dans les brumes du soir…
Mais seul lui répondait l’écho du désespoir.
***
Un matin, il croisa près d’un torrent glacé
Une fille aux cheveux de nuit et de rosée,
Dont les yeux reflétaient l’azur des glaciers purs.
Liora — c’était elle —, ange aux gestes obscurs,
Fuyait les hameaux bas où la rumeur sévère
Murmurait sur son sang qu’un mal héréditaire
Avait marqué du sceau des printemps éphémères.
Son père, vieux forgeron aux mains de granit,
Cachait sous les grondons l’amertume infinie
De voir sa lignée unique à l’aube ternie.
Leurs regards se lièrent dans un silence antique,
Comme deux loups blessés reconnaissant leur frère.
Elle lui offrit un feu — braise minuscule —
Qu’il garda dans sa paume en prière nocturne,
Tandis qu’autour d’eux, les ombres taciturnes
Dansaient avec la neige en valse symphonique.
***
Les saisons défilèrent, légion sans visage.
Élias apprenait à dompter les versants,
À lire dans les cristaux les pleurs du firmament,
Tandis que Liora, tel un spectre de mirage,
Lui tendait en secret des bouquets de silences.
Ils parlaient peu, mais chaque mot était un monde :
« Vois-tu ces nuages, Élias ? Ce sont des âmes
Qui n’ont pas trouvé place au banquet des années.
— Et nous, Liora, serons-nous un jour damnés
À errer dans ce blanc qui dévore les larmes ? »
Un soir, elle chuchota, pâle comme un lys mort :
« Je porte en moi l’hiver qui ronge les bourgeons.
Ne cherche pas mon cœur sous les cerisiers morts…
Le destin nous a fait naître pour le décor
D’une tragédie écrite avant notre premier jour. »
***
Un été furtif vint, étranger en ces lieux.
La neige fondit en ruisseaux mélancoliques,
Dévoilant des débris de vies antédiluviennes :
Boucles d’oreille en fer, couteau sans lame,
Et lettres jaunies où des mots ensevelis
Parlaient d’un amour fou entre un montagnard
Et une inconnue aux yeux couleur de naufrage.
Élias y lut son nom, tracé d’une main lasse,
Et comprit que le sang coulant dans ses veines
Avait jadis uni deux solitudes distantes,
Avant que le glacier ne scelle leurs tourments.
***
Liora, chaque jour plus translucide,
Se murait dans une crypte de sourires tronqués.
« Pars, Élias, fuis ces cimes meurtrières !
— Je resterai tant que ton souffle sera tien.
— Tu ne sais donc pas que j’ai volé ton bien ?
Cette flamme en tes mains… C’était la dernière. »
Il la serra contre lui, frêle oiseau de cristal,
Sentant sous ses doigts les battements précaires
D’un cœur qui s’obstinait à nier le néant.
« Nous aurions dû naître ailleurs, ou jamais.
— Chut… Regarde l’aurore boréale qui ondule :
C’est la danse des adieux que le ciel régurgite.
Emporte ce médaillon, il contient ma promesse.
Quand tu verras la neige embraser les sapins,
Souviens-toi qu’un amour plus fort que la mort
A veillé sur tes nuits d’enfant abandonné. »
***
Le lendemain, un silence anormal régnait
Sur la cabane où Liora exhalait ses fièvres.
Élias, égaré dans les labyrinthes blancs,
Cherchait des herbes rares au flanc des précipices.
Quand il revint, mêlant sang et larmes au gel,
Il trouva le forgeron agenouillé, statue
Dont les yeux érodés fixaient l’horizon vide.
Sur la table, un parchemin froissé par le chagrin :
« Pardonne-moi, Élias, d’avoir aimé ton père
Et d’avoir préféré la honte à son courage.
Nous t’avons abandonné par lâcheté sublime…
Quant à Liora, sache que son âme fragile
Portait depuis toujours l’arrêt de nos péchés.
Elle est partie ce matin, vêtue de brume,
Chercher dans les hauteurs le repos qui lui sied. »
***
Il courut, aveuglé par les morsures du vent,
Gravissant les parois où gisaient leurs souvenirs :
Le rocher des confessions, la grotte aux échos tendres…
Et là, près d’un lac gelé que striait la lumière,
Il aperçut sa robe flottant comme un suaire,
Cadavre angélique pris dans les bras de glace.
À son cou scintillait un médaillon ouvert
Où deux portraits fanés, unis pour l’éternité,
Souriaient sous l’effacement des origines.
***
Depuis, chaque hiver, quand l’aurore se lamente,
On voit errer un homme aux cheveux de blizzard
Qui murmure à la brume des strophes anciennes.
Il porte en sa poitrine un feu mort-né,
Et dans ses yeux, la marque indélébile
D’un amour qui naquit trop tard ou trop tôt,
Fleurissant sous la neige en pétales de vide.
La montagne, témoin des destins fracassés,
Continue d’ensevelir sous ses plis infinis
Les sanglots étouffés des âmes orphelines,
Tandis que le temps, impassible assassin,
Transforme en légende leur douleur cristalline.
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