Je la veux obscurcir d’une nuit éternelle,
Puisque je suis si loin de mon heureux soleil,
Car sans âme je vis, sans poumon je respire,
Et absent de mon bien mon douloureux martyre
Ensevelit mon cœur sous l’oublieux sommeil.
Je vis, je ne vis pas, je meurs, je ne meurs pas,
Il n’y a point de vie, il n’est point de trépas,
Mais un ingrat destin sans cesse me tourmente,
Car je ne puis mourir pource que * je suis mort,
Et je ne suis pas mort, pour autant que mon sort
Fait qu’encore dans moi un vain esprit se sente.
Je ne suis pas vivant, pour autant que mon cœur
Ne reçoit mouvement, puissance ni chaleur,
Que des heureux brasiers que l’amour y attise :
Je ne suis pas éteint, je ne fais que languir,
Pressé de mon tourment : car je ne puis mourir
Si loin de la beauté dont la vie j’ai prise.
Éloigné de mon feu je ne puis m’attiser, Éloigné de ma mort je ne puis expirer,
Ainsi faut que je vive et faut que je trépasse,
En ma vie est ma mort, en mon bien ma douleur,
En ma nuit ma lumière, en mon mal mon bonheur,
Ainsi mon sort divers même soin me compassé.
Celle qui a ravi par sa force mon cœur,
Qui le fait vivre en moi par sa douce rigueur,
Et qui par ses beaux yeux humblefière * le tue,
L’ôte cruellement, le remet doucement,
Me l’arrache humblement, me le rend fièrement,
Gouvernant mes destins d’une sorte inconnue.