Le plâtre blanc et mat de ce masque puissant
Que lâart nous a laissĂŠ de ta divine tĂŞte,
Je ne puis mâempĂŞcher de frĂŠmir, Ă´ poĂŤte !
Tant la main du gĂŠnie et celle du malheur
Ont imprimĂŠ sur toi le sceau de la douleur.
Sous lâĂŠtroit chaperon qui presse tes oreilles
Est-ce le pli des ans, ou le sillon des veilles
Qui traverse ton front si laborieusement ?
Est-ce au champ de lâexil, dans lâavilissement,
Que ta bouche sâest close Ă force de maudire ?
Ta dernière pensÊe est-elle en ce sourire
Que la mort sur ta lèvre a clouÊ de ses mains ?
Est-ce un ris de pitiÊ sur les pauvres humains ?
Ah ! Le mÊpris va bien à la bouche de Dante,
Car il reçut le jour dans une ville ardente,
Et le pavĂŠ natal fut un champ de graviers
Qui dÊchira longtemps la plante de ses pieds :
Dante vit comme nous, les factions humaines
Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines ;
Il vit les citoyens sâĂŠgorger en plein jour,
Les partis ÊcrasÊs renaÎtre tour à tour ;
Il vit sur les bĂťchers sâallumer les victimes ;
Il vit pendant trente ans passer des flots de crimes,
Et le mot de patrie Ă tous les vents jetĂŠ,
Sans profit pour le peuple et pour la libertĂŠ.
Ă Dante Alighieri, poĂŤte de Florence,
Je comprends aujourdâhui ta mortelle souffrance ;
Amant de BĂŠatrice, Ă lâexil condamnĂŠ,
Je comprends ton Ĺil cave et ton front dĂŠcharnĂŠ,
Le dĂŠgoĂťt qui te prit des choses de ce monde,
Ce mal de cĹur sans fin, cette haine profonde
Qui te faisant atroce et te fouettant lâhumeur,
Inondèrent de bile et ta plume et ton cĹur
Aussi, dâaprès les mĹurs de ta ville natale,
Artiste, tu peignis une toile fatale,
Et tu fis le tableau de sa perversitĂŠ
Avec tant dâĂŠnergie et tant de vĂŠritĂŠ,
Que les petits enfants qui le jour, dans Ravenne,
Te voyaient traverser quelque place lointaine,
Disaient en contemplant ton front livide et vert :
VoilĂ , voilĂ celui qui revient de lâenfer.