Le Chevalier et l’Écho des Ombres
Il avançait, l’épée au flanc, sous les ramures froissées,
Son armure, un linceul d’argent rougi par les adieux,
Traînant dans son sillage un silence de rosée
Où se fanaient les pas des rêves et des dieux.
La forêt, gueule de velours aux dents de lianes,
Avalait le soleil, digérait l’or des clairières,
Et son cœur, tambour sourd, battait le sang des chênes
Qui murmuraient des noms perdus dans leurs racines.
II
Trois lunes s’étaient noyées dans les mares du ciel
Depuis qu’il poursuivait ce fantôme de lumière,
Un feu follet dansant sur l’étang maternel
Où se miraient jadis les traits de sa prière.
« Je suis l’ultime écuyer des royaumes déchus,
Le gardien des serments brodés dans les bannières… »
Mais le vent, couturier des ombres, cousait déjà
Un linceul de brouillard à ses paupières.
III
Un matin, il trouva la source aux lèvres bleues
Où nageaient des reflets de visages absents.
L’eau chantait une ode enjôleuse et vénéneuse :
« Bois, et tu sauras le secret des temps.
Chaque gorgée est un royaume, une année, un mensonge,
Chaque goutte, un miroir où ton âme se fond… »
Il but—et les forêts en lui dressèrent leurs songes,
Des cités de brume où dansaient des couronnes.
IV
Puis vint la Femme-Fantôme aux cheveux de lichen,
Ses yeux, deux fontaines où se noyaient les astres,
Sa voix, un cristal qui se brise en chemin :
« Je suis ton premier sanglot, ton dernier désastre.
Cherche-moi sous les écorces qui saignent des noms,
Mais chaque pas vers moi effacera ton histoire… »
Elle fondit en pluie de pétales de pomme,
Laissant dans sa paume une graine de mémoire.
V
Il erra, dévidant le fil de son propre souffle,
Tandis que les sentiers verrouillaient leurs passages,
Les chênes, scribes muets, griffonnaient son épitaphe
Sur des parchemins de feuilles et de branchages.
Les loups, prêtres gris aux crocs liturgiques,
Récitaient ses exploits en langue de ténèbres,
Et son nom, peu à peu, se changeait en relique
Enterrée vivante au musée des brumes.
VI
Une nuit, il entendit rire les étoiles mortes
Dans leur cercueil de verre accroché aux sapins.
Son bouclier, mangé par la rouille et les portes
Du temps, tomba en poussière au bord du chemin.
« J’ai vaincu des armées de vent et de silence,
Forgé ma légende au fourreau des nuits blanches… »
Mais l’écho ricana : « Quelle vaineillance !
Ta gloire n’est qu’un feu qui danse sur les branches. »
VII
Lorsqu’enfin il perça le cœur de la clairière,
Il vit—ô dérisoire achèvement du voyage—
Un autel de champignons, un trône de lierre,
Et son propre visage sculpté dans le feuillage.
La forêt lui souffla, d’une haleine de腐葉土 :
« Tu n’étais que le songe d’un songe qui s’ignore,
L’illusion d’un reflet cherchant sa propre chair,
Et ta quête n’était qu’un adieu déguisé à l’aurore. »
VIII
Son épée, se sachant enfin inutile,
Se brisa d’elle-même en un sanglot argentin.
L’armure, dépouillant ce corps devenu futile,
Roula parmi les glands et les os enfantins.
Le chevalier—si tant est qu’il fut un jour—
S’évapora en brume, ultime exhalaison,
Tandis qu’au fond des bois, renaissait sans amour
Une jeune pousse verte… anonyme saison.
Et la forêt, repue de cette âme offerte,
Referma ses paupières de fougères et de temps,
Gardant pour seul trophée une ombre déserte
Qui murmure toujours aux voyageurs errants :
« Je suis ce que tu cherches, je suis ce que tu fuis,
L’énigme sans réponse, le miroir sans visage…
Avance encore un pas—déjà tu m’as trahi,
Car ton destin n’est qu’un mot perdu dans mon page. »
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