L’Éternel Écho des Pierres Muettes
Une âme erre, fantôme aux plis d’une ombre vaine,
Pieds sans trace et regards brûlants de souvenirs,
Hantant les murs sacrés que la lune fait noircir.
La cathédrale, énorme écrin de nuit sculptée,
Dresse ses arcs en pleurs vers des cieux avortés.
Les vitraux, yeux éteints des martyrs oubliés,
Saignent des lueurs d’ambre au vent désenchanté.
Sous une dalle froide où gît un nom sans dates,
Un pli jauni se cache, froissé par les années,
Lettre close d’un sceau de cire et de regrets,
Où dort un cri d’amour dans l’encre délavée.
L’âme, frôlant le papier de ses doigts de brume,
Sent vibrer l’appel sourd d’une voix qui s’allume.
Les mots, tels des serments gravés sur des tombeaux,
Jaillissent en éclats de lumière et de sanglots :
*« Toi qui pars sans retour vers les guerres lointaines,
Je t’écris chaque aube en étreignant mes chaînes.
Le puits de notre cour s’assèche en ton absence,
Et le gel a scellé les roses du silence.
Hier, sous le porche où tu m’as dit adieu,
J’ai cru voir ton reflet glisser entre les feuilles.
Mais ce n’était qu’un rêve, écho de nos aveux,
Qu’emporte à l’infini le rire amer des pierres.
Si tu reviens un jour, froissant ces lignes pâles,
Sache que j’ai lutté contre l’oubli qui râle.
J’ai bâti mille autels où brûlaient nos promesses,
Mais les cendres du temps ont noyé mes tendresses.
Le crépuscule vient. Déjà, l’heure est trop lourde.
Je m’efface en dansant avec l’ombre qui mord.
Ne cherche pas ma tombe au champ des âmes vaines :
Je serai le soupir qui traverse les chênes. »*
Le parchemin s’envole en poussière d’étoiles,
Tandis qu’au cœur de l’âme éclate une mitraille.
Elle court, spectre fou, parmi les colonnades,
Interrogeant les murs sourds à ses embardades.
« Répondez-moi, piliers gardiens de nos murmures !
Où est-elle ? Pourquoi son amour s’est-il tu ?
Était-ce donc hier, ces rires sous les voûtes,
Ou trois siècles passés depuis notre dernière chute ? »
Les gargouilles, penchées en sentinelles graves,
Gardent le secret noir des amours défunts.
Le vent, faux messager, répète en rafales brèves
Des lambeaux de serments déchirés par les grèves.
L’âme se souvient soudain — éclair dans l’abîme —
De l’adieu déchirant sous l’orage qui gronde.
Son corps, jadis de chair, tombé loin des bannières,
Rongé par les corbeaux aux lèvres de lumière.
Elle comprend alors l’horreur de son supplice :
Avoir fui le combat pour un retour complice,
Trouver en arrivant les portes du bonheur
Scellées par la mort lente et le pleur du guetteur.
Nuit après nuit, elle erre en la nef déserte,
Collant son front d’argile aux dalles entrouvertes.
Elle boit la rosée des cryptes sans printemps,
Et parle aux chandeliers ses confidents muets.
Un matin, le soleil perce les rosaces mortes,
Drapant d’un linceul d’or les stèles de la porte.
L’âme sent se dissoudre ses contours flottants :
L’oubli, doux assassin, étend ses bras tremblants.
Elle tend vers les cieux une main qui s’effiloche,
Tandis que son chant monte, ultime provocation :
« Ô vous, vivants pressés qui piétinez les âmes,
Craignez le poids des mots enterrés sous les lames !
Je m’en vais, compagnon des rêves inutiles,
Emportant dans ma chute un amour immobile.
Que les cloches, un jour, sonnent le tout-puissant
Pour deux ombres perdues aux limbes du passant… »
Son corps d’ombre s’éteint. La lettre, enfin calmée,
Se mêle à la poussière des espoirs damnés.
La cathédrale veille, impassible et glacée,
Mausolée géant où toute ardeur est passée.
Et quand la lune boit les sanglots des ogives,
On entend parfois choir, entre deux notes vives,
Une larme de plomb et de mémoire pure
Qui rouille doucement les marbres de l’abîme.
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