L’Exilé du Val Perdu
Au creux des monts où s’accroupit l’oubli,
Un hameau gris, fardeau de brumes anciennes,
Égrenait ses toits tors et ses chemins moisissants
Sous la caresse froide des aquilons complices.
Là, parmi les pierres muettes et les fontaines taries,
Vivait un enfant sans racines ni lendemains,
Orphelin du sang et du nom, âme en suaire,
Dont les yeux puisaient au puits noir des pourquoi.
Son lit ? La grange aux planches lépreuses
Où chuchotaient les fantômes du foin mort.
Sa famille ? Le vent mordant, les louves distantes
Qui hurlaient aux lunes l’écho de sa détresse.
Chaque aube le trouvait guettant l’horizon rocheux,
Comme si les nuages, déchirant leur linceul,
Lui apporteraient l’aveu d’un destin volé,
La clé rouillée d’un passé enterré vif.
Un soir d’automne où les chênes saignaient or,
Un vieillard courbé sous le poids des hivers,
À la barbe de givre et au regard de tourbe,
Lui tendit un bol de ciel tiède :
« Je sais ce que tu cherches, petit spectre aux mains vides.
Dans trois lunes, quand la neige aura mangé les sentiers,
Rejoins-moi au rocher des Corbeaux. J’ai connu
Tes parents. Leur histoire est une plaie ouverte. »
L’enfant crut voir dans ses prunelles caves
Danser une lueur pareille aux fièvres de juin.
Promesse ! Ce mot-là, lourd comme fruit mûr,
Roula dans son crâne et fleurit en chimères.
Il compta les nuits, griffant l’adobe des murs,
Nourri par les rêves d’un mensonge nécessaire :
Des mains maternelles effaçant ses cicatrices,
Un père offrant en riant la clef des étoiles.
Pendant que l’hiver ourlait son linceul de rafales,
Le vieil homme, gardien de mémoire fêlée,
Fuyait vers la mort en secret, léger comme poussière,
Emportant dans ses draps la parole assassinée.
Trois lunes passèrent. L’aube du rendez-vous
Se leva, livide, sur le val enseveli.
L’enfant gravit la falaise aux mille crocs de pierre,
Portant en sa poitrine un cœur-oiseau affolé.
Au sommet, seul régnait le silence complice,
Fracturé par les cris tors des corbeaux moqueurs.
Il attendit. Le vent lui vola ses larmes salées,
Le givre ourdit un manteau sur ses membres transis.
Quand vint la nuit, peuplant l’abîme de spectres,
Il comprit d’un coup sourd, viscéral, absolu :
La promesse n’était qu’une feuille morte,
Emportée par le souffle cruel des choses.
Alors il s’allongea dans la couche des néants,
Fixant les constellations indifférentes.
Ses doigts creusèrent la neige en cherchent une étreinte,
Ne trouvant que le froid, ce fiancé loyal.
« Mensonge ! » hurla-t-il aux rochers sourds,
Et le val lui renvoya l’écho en ricanements.
Peu à peu, le gel mordit ses paupières lasses,
Tissant sur son corps un linceul de diamants noirs.
Au matin, les loups vinrent, curieux et tendres,
Lécher les restes de ce songe évanoui.
Le hameau continua de pourrir en silence,
Gardien zélé d’un secret déjà mangé par la mousse.
Et quelque part, sous un tertre anonyme,
Le vieux souriait dans son sommeil de terre,
Tandis qu’au rocher des Corbeaux, la neige
Écrivait en riant l’épitaphe du vent.
Maintenant, quand novembre mord les collines,
Une ombre frêle erre près des sources taries,
Murmurant des pourquoi à la lune apathique,
Et les chênes, penchés comme des vieillards tristes,
Racontent aux bourrasques l’histoire brève et vaine
D’un exilé qui crut pouvoir apprivoiser
Le mensonge doré des promesses humaines,
Et mourut d’avoir trop aimé l’aube.
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