L’Exilée des Larmes Silencieuses
Où l’hiver éternel glaçait l’âme des pierres,
Se dressait un hameau frêle comme un soupir,
Sous un ciel de plomb que nul soleil ne vient fendre.
Là, parmi les débris des espoirs engloutis,
Vivait une ombre errante aux regards appesantis,
Femme au destin scellé par les clous du malheur,
Dont les pas alourdis traçaient des chemins sourds.
On l’appelait Liora, nom murmuré au vent,
Car ses lèvres jamais ne formaient de serment.
Son passé, lac fermé où dormaient des secrets,
Avait fui les miroirs et les cœurs indiscrets.
Elle habitait seul’ une masure croulante,
Où les murs éventrés sanglotaient sans réplique,
Et du matin au soir, sous les brumes rampantes,
Elle tissait la laine aux métiers d’autrefois.
Ses doigts, habiles fées en deuil de leurs sortilèges,
Dansaient sur les fils tors comme un chœur de cortèges,
Cousant en chaque étoffe un fragment de douleur,
Des broderies de deuil où perlait la pâleur.
Les villageois, méfiants, évitaient son repaire,
Craignant que son chagrin ne fût chose contagieuse ;
Seuls les enfants, parfois, d’une audace légère,
Lui jetaient des cailloux en riant sous les yeuses.
Un soir d’automne mort, où les corbeaux criaient l’heure,
Un étranger voilé frappa à sa demeure.
Son manteau, tissé d’ombre et de brumes d’antan,
Cachait un visage pâle aux traits de diamant.
« Je viens chercher, dit-il, la clé des songes tristes
Que tu serres en toi depuis l’aube insoumise.
Ton exil prendra fin quand avoueras ton crime :
Le secret qui mordit ton cœur comme un reptile. »
La femme se roidit, pareille à une stèle,
Ses yeux, deux lacs gelés, fixèrent l’émissaire :
« Nul crime ne macule mes mains ni mes pensées,
Mais le sort m’a choisie pour être sa blessure.
Partez, spectre importun, votre verbe est venin !
Mon âme est un tombeau que rien ne peut ouvrir. »
L’étranger alors, d’un geste lent, terrible,
Déchira le tissu des mensonges anciens.
« Souviens-toi du printemps où tu dansais, légère,
Sous les cerisiers blancs de la colline claire.
Un serment fut tracé dans l’écorce d’un chêne,
Promesse d’un retour qui jamais ne vint naître.
Ton amour, exilé par les guerres lointaines,
Ne revit ton visage qu’en des songes funèbres.
Tu l’as cru disparu, mais son dernier souffle
Murmura ton nom dans les plis du drapeau sombre.
Et toi, folle d’angoisse, emportant ta détresse,
Tu as fui ta contrée et ton propre visage,
Croyant échapper au remords dévorant,
Alors que ton amant, blessé mais respirant,
Revint, haletant, sur les chemins de cendre,
Pour te trouver partie, emportant sa lumière.
Il mourut en sculptant ton nom dans la roche vive,
Et son ombre depuis erre au bord des précipices. »
Le récit tomba comme un couteau dans l’âtre,
Faisant danser les mots en flammes carnassières.
Liora, statue aux paupières béantes,
Sentit fondre en son sein les neiges accumulées.
« Pourquoi m’avoir laissé croire à son trépas ?
Pourquoi les dieux cruels ont-ils scellé nos pas ?
J’ai fui comme on renie, comme on arrache un membre,
Croyant sauver mon âme en exilant mes cendres ! »
L’étranger, voix de cyprès sous la lune rousse,
Tendit vers elle un lys noir trempé de rosée :
« Prends cette fleur de deuil, dernier cadeau des ombres,
Et suis-moi vers le lieu où les remords se sombrent.
Ton amant, dans la mort, réclame ton pardon :
Viens effacer l’affront par-delà le lagon. »
Elle prit la fleur lourde, empreinte de nécrose,
Et suivit le fantôme à travers champs et roses.
Ils marchèrent trois jours sous les pluies incantatoires,
Franchissant les ravins et les forêts d’histoire,
Jusqu’à une falaise où mugissait la mer,
Dont les vents ululaient un requiem amer.
Là, dans une grotte basse aux parois de souffrance,
Gisait un squelette étreignant une médaille
Où s’entrelaçaient leurs noms en lettres de sang séché :
« Liora » et « Élian », unis pour l’éternité.
« Regarde, dit l’esprit, le fruit de ton absence :
Lui qui t’aima plus fort que la mort et la chance,
Il sculpta jusqu’au bout votre amour dans la roche,
Tandis que tu filais ta honte en héméroche.
Maintenant, il est temps d’affronter le miroir :
Ton exil fut l’enfer que tu crus fuir ce soir. »
La femme, agenouillée, embrassa le crâne froid,
Mêlant ses pleurs aux cris salés des goélands.
« Pardonne, ô mon aimé, mon cœur lâche et fragile,
Je n’ai su voir l’amour derrière les périls.
Notre serment fut rompu par ma folle faiblesse,
Et j’ai préféré l’ombre à ta douce tendresse. »
Le vent porta ses mots vers les cieux implacables,
Tandis que l’étranger, tel un juge immuable,
Leva les bras, faisant trembler terre et firmament :
« L’heure est venue d’expier ton déchirement. »
Soudain, le sol craqua, avalant la grotte entière,
Et Liora tomba dans les entrailles pierreuses,
Serrant contre son cœur le lys et la médaille,
Tandis qu’au-dessus d’elle, une voix éternelle
Chantait l’hymne perdu des amants séparés,
Ce chant qui hante encore les nuits des condamnés.
Le village, témoin de ce châtiment triste,
Vit s’effondrer la falaise en un geste funèbre.
Depuis, quand vient l’hiver et ses bises mordantes,
On entend près des rocs deux plaintes concordantes :
L’une pleure l’exil, l’autre crie l’adieu,
Et la mer, infinie, scelle leur dernier vœu.
Les tissus de Liora, dispersés par les rafales,
Blanchissent l’océan de leurs fibres spectrales,
Rappelant à jamais que l’exil le plus noir
Est celui que l’on fuit sans jamais pouvoir voir.
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