L’Éphémère et l’Ombre
Un orphelin marchait, pâle enfant des tourments,
Portant pour seul trésor les lambeaux d’une haine
Que lui légua jadis un sang tiede et dormant.
Son regard, deux saphirs où brûlait l’espérance,
Cherchait entre les troncs les secrets du passé,
Tandis que les échos, en leur morne cadence,
Murmuraient des aveux jamais inavoués.
La forêt, cathédrale aux piliers séculaires,
Déployait sous la lune un dais vert et mouvant ;
Les branches, doigts noueux étreignant les mystères,
Semaient sur son chemin des larmes de vent.
Il avançait, guidé par les plaintes anciennes
Qui dans l’ombre tissaient d’invisibles liens,
Quand soudain, devant lui, parmi les fougères frêles,
Une lueur dansa – fantôme aérien.
« Qui donc ose, à minuit, troubler mon repos sombre ? »
Une voix sans visage ondula dans les pins.
L’enfant, sans reculer, répondit à cette ombre :
« Je suis celui qu’on nomme Éternel orphelin.
Je cherche un serment pur gravé dans les abîmes,
Un pacte oublié par les cœurs inconstants.
— Tu parles de l’alliance où s’unissaient les cimes
Et les hommes, jadis, sous les cieux complaisants ? »
Le spectre se matérialisa, diaphane,
Ses cheveux un ruisseau de brume et de regret,
Ses yeux deux lacs glacés reflétant le satin
D’un ciel où nul espoir ne leverait son dais.
« Je fus gardienne ici des promesses suprêmes,
Mais les mortels ont fui leur devoir solennel.
Si tu veux hériter des serments que tu sèmes,
Prête l’oreille au chant funèbre éternel. »
Elle chanta. Le temps suspendit son haleine ;
Les arbres inclinés formaient un noir cercueil.
L’orphelin crut entendre, au fond de chaque veine,
L’appel désespéré d’un univers en deuil.
« Je jure, cria-t-il, par ces mousses fidèles,
Par les astres muets qui veillent sur les nuits,
De restaurer le vœu que les ans ont rebelles,
D’être l’âme ligotée à vos obscurs ennuis ! »
Un éclair vert jaillit des entrailles terrestres,
Les racines en deuil tressaillirent d’effroi.
« Malheureux ! Tu viens d’unir ton être aux ancêtres,
Dit la dame des bois d’un ton lourd de sousbois.
Ton cœur bat désormais au rythme des chênaies,
Tes pas seront guidés par les lois du sous-sol.
Mais si jamais ton sang oublie ces entraves,
La forêt reprendra son dû – et tu mourras. »
Les saisons défilèrent. L’enfant, devenu homme,
Veillait sur le royaume où tout est éphémère.
Il parlait aux ruisseaux, domptait les aquilons,
Et tissait des matins aux fils de la lumière.
Un soir d’automne roux où les cerfs se lamentent,
Il vit une louve, blessée au flanc amer,
Griffer la terre rouge en des soubresauts lents :
Son regard suppliait une pitié sans fard.
« N’approche pas ! » hurla la foule végétale,
« Cette bête incarnée est un piège des dieux ! »
Mais lui, pris de vertige devant l’animal pâle,
Oublia les serments et leurs noirs aïeux.
Il courut, déchira sa tunique de mousse,
Étancher le sang noir coulant comme un remords,
Lorsque soudain, le sol trembla d’une secousse :
La forêt tout entière rugit – « C’est donc la mort ! »
Les branches se vrillèrent en griffes menaçantes,
Les racines en lacs étrangleurs de destins,
Le vent devint couteau, la terre une géante
Dévorant pas à pas l’élu des lendemains.
« Pourquoi me punissez-vous d’un geste de tendresse ?
J’ai sauvé ce qui vit, j’ai respecté l’amour !
— Tu as rompu le pacte où toute âme se laisse,
L’animal est un leurre, et l’amour… un faux jour. »
Il tomba, les rameaux lui perçant les paupières,
La sève remplaça les larmes de ses yeux.
La louve, à présent morte, et libre de frontières,
N’était plus qu’un miroir brisé par l’âge vieux.
La dame des forêts pleura des feuilles mortes
Sur ce corps qui jadis vibrait d’un feu si pur :
« Tu croyais conquérir les clés de notre porte,
Mais la liberté vraie n’habite aucun mur. »
Lorsque l’aube naquit, il ne resta qu’un arbre
Aux racines de chair, aux feuillages de peur,
Qui chuchotait au vent son histoire de marbre :
« Je fus homme, et je crus l’amour plus fort que peur. »
Depuis ce jour, les nuits où la lune est trop pâle,
On entend dans les bois un long gémissement :
C’est la forêt qui pleure, éternelle vestale,
L’enfant qui choisit l’ombre au prix du firmament.
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