L’Adieu Sous l’Étoile Éteinte
Où la brume, enlinceul des rêves ensevelis,
Étire ses lambeaux sur les eaux sans-voix, l’ombre
Y danse avec la pluie en un lent désesprit.
Une femme s’avance, frêle et silencieuse,
Ses pas glissent au rythme des sanglots du ruisseau,
Son manteau, lourd de nuit, traîne une odeur de cieuse,
Et ses yeux sont deux lacs où se noie un flambeau.
Le temps, ce vieil artiste aux pinceaux de tempête,
A creusé dans son front les sillons du regret ;
Chaque ride est un vers, une plainte muette,
Un chant d’amour éteint que la cendre habillait.
Elle s’arrête, écoute au seuil de l’abîme
Le vent jouer sa plainte aux cordes des peupliers,
Et dans cette complainte où l’âme se déprime,
S’élève un souvenir plus lourd que ses souliers.
*« Souviens-toi… »* murmurait la voix de son jeune âge,
Quand l’aurore riait dans les plis de leurs mains,
Ils avaient baptisé ce pont leur héritage,
Scellant sous chaque pierre un serment cristallin.
*« L’étoile sera témoin »,* disait-il, bouche ardente,
En désignant Vénus, diamant égaré ;
Mais l’astre, aujourd’hui pâle, est une larme errante
Qui tombe du manteau du firmament pleuré.
Elle touche du doigt la pierre humide et ronde
Où leurs noms enlacés dorment sous le lichen :
L’érosion a bu les lettres de leur monde,
Ne laissant qu’un soupir gravé dans l’éphémère.
Le crépuscule étend ses voiles de mystère,
Le fleuve en contrebas, miroir trouble du sort,
Reflète un visage mangé par la terreur
De voir s’effilocher les fils ténus du port.
*« Pourquoi m’as-tu promise à ces adieux sans trêve ? »*
Interrogeait sa voix que la brise emporta.
Le vent, ce messager des douleurs sans achève,
Ne répondit qu’en tordant les plis de sa rota.
Un fiacre apparaît soudain, fantôme dans la brume,
Ses lanternes sont deux yeux rouges de chagrin ;
Il s’arrête. Un homme en descend, son pas fume
Comme un dernier encens sur l’autel du destin.
Silence. Leurs regards, par dix ans de distance,
Se cherchent, se heurtent, chutent dans le néant ;
Son chapeau dégouline une obscure constance,
Sa canne trace un mot que la pluie lit en sang.
*« Vous partez… »* dit la femme, et sa lèvre glacée
Tremble tel un pétale arraché par l’hiver.
L’homme baisse les yeux, sa main crispée et lassée
Serre un billet froissé, testament de l’enfer.
*« Demain, l’océan noir me prendra pour complice,
Adélaïde… Adieu. Notre étoile est morte. »
Il tend le papier blanc, symbole du supplice,
Où danse un nom étranger que le destin apporte.
Elle prend le billet, le presse sur sa tempe
Comme pour y loger l’éclair de la raison,
Mais le poison du mot traverse comme une lampe
Ses veines, allumant un brasier de poison.
*« Ainsi donc, cette nuit où nous jurâmes d’être
Les gardiens du bonheur gravé dans le rocher,
Vous effacez d’un trait dix ans de notre histoire
Pour une autre… Et mon cœur n’a plus qu’à se cacher ? »*
L’homme tourne son front vers l’ouest où l’ombre gronde,
Son profil n’est déjà plus qu’un spectre de fer ;
*« Le devoir… »* balbutie-t-il, mais le mot se noie
Dans le grondement sourd des nuages de mer.
Il part. Ses pas résonnent sur la chaussée vide,
Chaque claquement est un clou dans son cercueil ;
Elle reste, statue que le chagrin liquide
Pétrit dans le basalte éternel de l’écueil.
La pluie redouble alors, torrentielle, électrique,
Les réverbères sont des moines en prière ;
Elle déchire le billet en un geste lyrique,
Les morceaux s’envolent comme un vol de poussière.
*« Mensonge ! »* crie-t-elle à l’étoile déchue
Dont la lueur agonise entre deux nues noires,
Mais le ciel, indolent, continue sa nue,
Tissant pour elle seule un linceul de mémoires.
Ses doigts agrippent soudain la rampe gelée,
Elle penche son corps vers l’appel du courant,
L’eau chante en contrebas une berceuse ailée,
Promesse d’oubli dans son dialecte mourant.
*« Rejoins-moi »,* murmure la voix des profondeurs,
*« Ici, plus de serments, plus de larmes à feindre… »*
Un éclair zèbre l’air, révélant la pâleur
De son sourire enfin libéré de l’éteindre.
Elle s’élance. Le vent déchire sa mantille,
Les anges retiennent leur souffle un instant ;
Le fleuve ouvre ses bras en un geste tranquille,
Et la nuit engloutit son cri de diamant.
Au matin, sur la pierre où leurs noms s’évaporent,
On trouve un collier d’eau, perle des lendemains,
Et l’étoile, là-haut, lentement se dévore,
Tandis que le pont pleure en égrenant ses grains…
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