L’Éphémère et l’Éternité
Sous un ciel lourd de cendres et de souvenirs,
Ses pas creusaient le silence des décembres,
Et la nuit tissait l’or pâle des désespoirs.
La ville gisait, squelette aux arêtes moroses,
Où le vent pleurait en frôlant les frontons,
Les murs croulants portaient l’effroi des érosions,
Gardiens muets des amours et des choses closes.
Il avançait, guidé par un astre orphelin,
Dont la clarté perlait sur les dalles brisées,
Comme un soupir tombé du firmament serein,
Comme une larme au creux des mains épuisées.
« Étoile, dis-moi, toi qui perces les nuées,
Où sont partis les rires de cette cité ?
Les chants de bronze, les voix évanouies,
Les promesses au fond des cœurs emportées ? »
L’astre resta sourd, mais dans son œil de verre,
Un reflet dansa, mémoire d’un autre temps :
Des places vibraient sous les pas de lumière,
Des enfants couraient, couronnés de printemps.
Il revit soudain une robe qui tournoie,
Une main tendue vers les cerisiers en fleur,
Un prénom chuchoté — doux secret qu’il gardait —
Et le temps suspendu, voleur de leur bonheur.
« Ô toi qui dors sous les racines des chênes,
Entends-tu gronder l’orage dans mon sang ?
Je porte en moi les clés de nos peines,
Et le sable mouvant de nos soleils absents. »
Les pierres gémirent, échos d’un monde mort,
Tandis qu’une brume enlaçait ses cheveux,
Fantôme familier, spectre d’un remords,
Qui murmurait : « L’oubli est plus lourd que les vœux. »
Il gravit les degrés d’un temple sans idoles,
Où la lune filtra par les voûtes en deuil,
Et là, sur l’autel vide où stagnent les symboles,
Il déposa son cœur, fruit mûri par l’écueil.
« Prends ceci, néant, ultime offrande,
Je n’ai plus de dieux, plus de lendemains,
Seule une étoile, à la lueur si tendre,
Veille sur mes pas, chemins orphelins. »
Soudain, l’astre pâlit, vacilla, trembla,
Comme un verre heurté par un sanglot,
Sa lumière en gerbe au sol roula,
Et le voyageur tomba, genoux à terre, échos.
« Non, ne t’éteins pas ! Reste, témoin des âges !
Toi qui vis naître et mourir les empires,
Ne me laisse pas seul face aux mirages,
Aux ombres qui dansent sur les décombres pires ! »
Mais l’étoile fondit en pluie de cendres froides,
Emportant avec elle les reflets du passé,
Et il comprit alors que les choses immondes
N’étaient que miroirs de son âme fracassée.
La ville se tut, plus lourde de mystère,
Le vent se coucha, lassé de gémir,
Il demeura prostré, statue funéraire,
Les yeux levés vers l’infini à venir.
Dans son sein glacé, une vérité germa :
L’éternité n’est qu’un adieu prolongé,
La solitude, un royaume que l’on aima,
Et les ruines, des amours fossilisées.
L’aube pointa, teintant les murs de rouille,
Il se leva, poussière parmi les débris,
Et s’enfonça dans le brouillard qui le souille,
Sans un sanglot, sans un geste, sans un cri.
Derrière lui, les portes de marbre crièrent,
Les tours effritées saluèrent son départ,
Mais il ne vit plus que l’horizon qui priait,
Et l’absence, vaste océan sans départ.
Ainsi s’éteignit l’homme aux semelles de brume,
Dans le creux d’un monde où tout est advenu,
Son nom roula parmi les gravats et l’écume,
Et l’étoile morte ne le reconnut plus.
« `