Les Larmes Cachées du Château Déchu
Un château délabré, spectre aux murs éboulés,
Dresse ses flancs meurtris par les ans et les rires,
Gardien silencieux des rêves envolés.
Un orphelin, jadis enfant aux pas fragiles,
Revient, vingt ans plus tard, hanter ces lieux déserts ;
Son souffle se confond au vent des souvenirs,
Sa main tremblante effleure un passé entrouvert.
Les portes, comme un deuil, gémissent sous les chaînes,
Les vitraux en éclats pleurent des cieux perdus,
L’escalier de marbre, cicatrice incertaine,
Porte l’écho lointain des berceuses déçues.
Dans la salle aux tapis de poussière et de cendre,
Une boîte d’ébène, oubliée en un coin,
Renferme une missive où le destin va prendre
Les mots jaunis d’un drame éteint par le besoin.
« Ô toi qui découvriras ces lignes fugitives,
Ne maudis point la nuit où nos cœurs se sont tus.
L’aurore a vu ton souffle et nos âmes captives
Céder au crépuscule des espoirs dévêtus.
Le sort, ce noir filou aux doigts de gel et d’ambre,
Nous força à t’abandonner aux bras du néant,
Non par lâcheté vaine ou déni de septembre,
Mais pour rompre l’emprise d’un pacte dévorant.
Cher enfant, sache enfin qu’en ces murs taciturnes,
Tes rires résonnaient comme des clés d’azur,
Mais l’héritage antique, fardeau des nocturnes,
Exigea que ton nom s’efface de nos murs.
La tour qui surplombe les forêts éternelles
Cacha sous ses pavés l’or maudit de nos jours :
Mourir fut notre prix pour que tu renaisses d’elle,
Et que l’aube te laisse un destin sans détours. »
L’orphelin, à genoux, serre le parchemin vague,
Ses larmes creusent des sillons sur son visage pâle ;
Le château tout entier semble un cercueil de brume
Où dansent les reflets d’un mensonge ancestral.
Il gravit les degrés de la tour condamnée,
Chaque pas un supplice, chaque marche un adieu,
Et trouve, sous la pierre en ses pleurs ruinée,
Un berceau d’argent pur drapé d’un voile bleu.
Là, parmi les bijoux ternis et les dentelles,
Un miroir brisé garde un portrait effacé :
Deux visages sans yeux, deux mains jointes, fidèles,
Qui dans l’éternité se cherchent, enlacés.
Soudain, le vent apporte une voix maternelle,
Fantôme de tendresse échappé du linceul :
« Pardonne à nos silences, ô chair immortelle,
Notre amour fut plus fort que les morsures seules.
Nous t’avons déserté pour que tu sois libre,
Pour que l’antique mal ne ronge ton destin.
Toute nuit a sa fin, toute douleur son gîte,
Mais l’amour, lui, demeure au-delà du matin. »
L’enfant hurle son cri vers les cieux sans étoiles,
Étreignant le berceau comme un dernier lien,
Quand s’écroule la tour sous les plaintes des voûtes,
Ensevelissant l’âme et le secret ancien.
Le château n’est plus qu’un songe dans la brume,
L’orphelin, un soupir perdu dans l’infini ;
La lettre, désormais poussière qui s’allume,
Raconte aux vents muets l’amour qui l’a banni.
Et chaque nuit d’automne, où les feuilles se meurent,
On entend sangloter, près des ruines en deuil,
L’écho d’un berceau triste et des mots qui demeurent :
« Mourir était aimer. Te quitter fut notre orgueil. »
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